Strasbourg : l’attentat de l’ENA en 1997 et le flou juridique qui l’entoure 

Il y a plus de 25 ans, en 1997, Strasbourg fut la cible d’un attentat visant l’ENA, l’École nationale d'administration. L’événement dont nous allons parler aujourd’hui, dont la plupart des Strasbourgeois n’ont jamais entendu parler, a suscité à l’époque beaucoup d’interrogations.

Située rue Sainte-Marguerite, et définitivement fermée en 2021 sur décision d’Emmanuel Macron (désormais remplacée par l’institut national du service public), l'ENA a pendant longtemps formé les élites politiques et administratives françaises. Parmi les anciens élèves de cette école aussi discrète que prestigieuse, on a pu compter Emmanuel Macron, Bruno le Maire, mais aussi Alain Jupé, François Hollande et bien d’autres personnalités politiques majeures. Cet évènement a suscité beaucoup d'interrogations à l'époque, et aujourd’hui encore, des flous persistent concernant les revendications et surtout, on ne connait toujours pas les auteurs de cet attentat qui heureusement n’a fait aucune victime. 

L’École nationale d'administration
L'École nationale d'administration © Bastien Pietronave

Nous sommes le jeudi 4 septembre 1997. Aux alentours de 22 heures, tout le monde ou presque a quitté les locaux de l’ENA, cet établissement situé tout proche du pont de l’abattoir à Strasbourg. À 22h15, les habitants du quartier presque endormis sont pourtant les témoins d’un bruit bien particulier qui attire leur attention. Une fuite de gaz, une collision, un attentat ? À l’époque, une personne témoin de la scène, qui s’adresse aux DNA, décrit non seulement une détonation, mais également des vibrations et des odeurs particulières qu’elle aurait ressenties. C’est désormais clair, et les premiers policiers qui arrivent sur place en font rapidement le constat, l’ENA a été la cible d’un attentat. 

Attentat à l'ENA
Brigade de police le soir de l'attentat à l'Ena © DNA

L’heure du bilan 

Une odeur de soufre, des éclats de verre, un gros « boom », des vitres brisées et un trou béant dans la façade principale, plus aucun doute ne persiste sur le caractère délibéré de cet acte disons…malveillant. À cette heure-là, heureusement, personne ne se trouvait à l’endroit où l’explosion a retenti, aucune victime n’est alors à déplorer. Néanmoins, les dégâts sont considérables, les témoins incrédules, et les autorités, tout comme les habitants, sont inquiets et cherchent déjà des réponses, et donc des coupables. 

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Revendications : le flou judiciaire 

Le lendemain de ce qui apparaît alors comme un attentat, aucun groupuscule ni mouvement ne revendique l’acte qui vient de se dérouler à l’ENA. Selon les policiers de l’époque, « (…) aucune menace claire n’a été formulée contre l’école ». L’enregistrement vidéo ne donne rien non plus, c’est le flou, et la justice n’aime pas le flou. Les enquêtes se poursuivent alors discrètement, et dans la presse alsacienne, rien ne fuite. Mais, dans un autre bout de France, en Corse, certains parlent et d’autres écoutent. 

Du jour au lendemain, et plus précisément le 6 septembre, soit 2 jours après l’attentat, les regards et les oreilles des premiers enquêteurs se tournent vers l’île de beauté. Là-bas, une radio située à Bastia reçoit un appel de revendication de l’explosion survenue une poignée de jours plus tôt à Strasbourg. Au bout du fil, à priori, le FLNC, le Front de Libération National Corse, un groupe nationaliste ultra violent qui sévit depuis des années déjà sur l’île et ailleurs en France. Ce jour-là, ses membres revendiquent non seulement l’attentat de l’ENA à Strasbourg, mais aussi celui d’une gendarmerie de Corse du sud. Dans la foulée, les DNA, alors l’un des seuls médias à couvrir l’événement, reçoivent une lettre listant « les considérations politiques » concernant la corse mais aussi « les technocrates, sourds et impersonnels (...) les énarques fabriqués en série dans le moule rigide de la pensée unique » (on imagine que l’auteur fait directement référence à l’ENA). Problème, cette lettre vient de la grande ville d’à côté…Mulhouse. 

Attentat à l'ENA vitres brisées
Vitres brisées lors de l'attentat © DNA

Enfin, c’est l’imbroglio total concernant les véritables revendications et l’identité des auteurs. Le lendemain, soit le 7 septembre, le FLNC dément son implication dans l’explosion de Strasbourg. Après enquête, il s’avère que le fameux coup de téléphone a été émis par une personne qui, à l’époque, avait une dent contre Adrien Zeller, un Alsacien alors président du conseil régional qui avait notamment œuvré contre la fraude fiscale en Corse. Finalement, le vrai coupable n’est toujours pas identifié. 

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Mais ce n’est pas terminé, dans cette énorme psychose générale, qui nourrit un doute permanent, le temps passe et les interrogations demeurent. Bien que le ministre de la Fonction Publique, le Corse Emile Zuccarelli, soit venu exprimer sa sympathie à l’ENA un mois plus tard, aucune réponse n’est alors trouvée. En novembre, un patriote Corse revendique à son tour l’attentat, et six mois plus tard, le doute se concentre sur cinq autres personnes d’un autre mouvement nationaliste corse…Enfin, en 2003, soit 6 ans après les faits, lors du procès du meurtre du préfet Claude Erignac, on comprend que les deux accusés de ce crime ultra médiatisé ont séjourné à Strasbourg le soir de l’explosion, dans un hôtel proche de…l’ENA. Ils avaient ensuite séjourné à Mulhouse bien sûr… 

Aujourd’hui, même si l’énoncé des faits que nous venons d’évoquer nous poussent à regarder vers les meurtriers de Claude Erignac, aucune preuve formelle n’a été trouvée et rien, à ce jour, ne permet d’incriminer qui que ce soit dans l’affaire des attentats de l’ENA. En 2022, le dossier est clos et aucun coupable n’a été trouvé, et c’est peut-être aussi pour cela que les Strasbourgeois ont oublié cette affaire sans dénouement final. 

Auteur : Bastien Pietronave