Envoûtante, dérangeante, Carmen vous attend ! 

Plus actuel que jamais, le blockbuster de l'art lyrique revient sur la scène strasbourgeoise, avec une distribution de rêve.

Tout le monde connaît aujourd'hui les principaux airs de l'opéra de Bizet, de la fameuse Habanera au toast porté par le toréador Escamillo. Pour ceux qui auraient raté les représentations de la saison 2021-2022 de l'Opéra national du Rhin, il vous reste à vous précipiter au Palais de la musique et des congrès, où la femme fatale chantera l'amour, accompagnée des musiciens de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, les 4 et 6 avril prochains. Une version concertante qui, si elle est exempte de jeux de scène et de décors, laisse toute la place aux différents thèmes musicaux qui font la signature de l'œuvre de Bizet.

Aziz Skokhakimov, le jeune directeur musical de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, a dirigé l'oeuvre de Bizet pour la première fois à 14 ans © OPS
Aziz Skokhakimov, le jeune directeur musical de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, a dirigé l'oeuvre de Bizet pour la première fois à 14 ans © OPS

De Prosper Mérimée à #MeToo

Composé en 1875, au départ d'un texte de Prosper Mérimée écrit en 1845, « Carmen » n'a pas pris une ride malgré ses 150 ans, tant l'image de femme libre - fatale diront certains – que porte la célèbre bohémienne peut être difficile à assumer, aujourd'hui encore. La fin réservée à la belle tzigane, assassinée par un prétendant enragé d'avoir été mis de côté par son amoureuse, qui lui en préfère un autre, fait en effet écho aux nombreux féminicides qui ensanglantent aujourd'hui toujours notre société. 

Lors de sa sortie, l'opéra n'avait d'ailleurs pas eu le succès escompté. Ses détracteurs, habitués aux fins heureuses, lui reprochaient sa violence et son caractère licencieux. Bizet, qui comptait sur cette œuvre pour relancer sa carrière, ne s'en remettra pas. Il meurt à 36 ans d’une rupture d’anévrisme, lors d’une représentation de ce qui sera l'œuvre de sa vie. C'est un opéra remanié, dans lequel les dialogues parlés sont remplacés par des récitatifs, qui fera finalement le tour du monde. Avec cette fois un succès tonitruant. Bizet aura-t-il eu raison trop tôt ? Carmen est aujourd’hui l’un des opéras les plus joués au monde !

Des airs incontournables

L’une des forces de l'œuvre est le caractère entêtant - presque addictif - de ses mélodies, soutenues par une orchestration rutilante. Tout comme Carmen obsède Don José, la musique de Bizet séduit dès la première écoute et reste durablement dans l’oreille. Alors si vous avez peur de vous retrouver au volant de votre voiture à froncer les sourcils pour lancer un « Prends garde à toi ! » à celui qui vous oblige à freiner pour s'insérer devant vous, si votre compagne ou compagnon ne supporte plus les « Toréador, l'amour t'attends ! » déclamés du fond de la douche, surtout n'allez pas voir le chef d'œuvre de Bizet...

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Une production modifiée...

Ce ne sera finalement pas le duo John Nelson (à la direction musicale) et Joyce DiDonato (mezzo-soprano) qui sera aux commandes de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg. Le chef d'orchestre américain, habitué des collaborations avec l'OPS – on l'a vu diriger plusieurs œuvres de Berlioz ces dernières années à Strasbourg, dont « Roméo et Juliette » ou « La Damnation de Faust » – a dû annuler sa participation pour raison de santé. Dans ces conditions, sa partenaire Joyce DiDonato n'a pas souhaité maintenir la sienne, d'autant qu'il s'agissait pour elle d'une première dans ce rôle. 

L'OPS a finalement fait appel à la vive et très expressive Elena Maximova pour incarner la Carmencita. La chanteuse russe a déjà endossé le rôle à de nombreuses reprises, pour les plus grandes scènes européennes. Et c'est le directeur musical de l'orchestre lui-même qui dirigera cette version concertante de Carmen. Particulièrement féru du répertoire français, Aziz Skokhakimov connaît en effet l'oeuvre de Bizet sur le bout des doigts : il a dirigé « Carmen » pour la première fois alors qu’il n’avait que 14 ans, à l’Opéra national d’Ouzbékistan !

Elena Maximova interprète Carmen au Royal Opera House de Londres, en 2015 © Royal Opera House / Catherine Ashmore.
Elena Maximova interprète Carmen au Royal Opera House de Londres, en 2015 © Royal Opera House / Catherine Ashmore.
 

… mais toujours une distribution de choix

Citons parmi les autres solistes Michael Spyres. Complice régulier de l’OPS, celui qui interprétera Don José a la particularité de maîtriser à la fois le registre de ténor et celui de baryton. Considéré comme l'un des plus grands chanteurs de sa génération, les strasbourgeois auront le privilège de l'entendre chanter « La fleur que tu m’avais jetée », l'hymne d’amour le plus poignant de cet opéra. Son rival Escamillo sera incarné par le baryton Alexandre Duhamel, qui ravi depuis plus de 10 ans les amateurs d'œuvres lyriques en Europe, de la Scala de Milan à l’Opéra national de Paris, en passant par le New National Theatre de Tokyo. 

Parmi la gente féminine, la jeune Elsa Dreisig, issue du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et de l’Opéra Studio du Staatsoper de Berlin incarnera Micaëla, amie d'enfance et promise de Don José, symbole de l'innocence, de la pureté et des valeurs familiales – tout le contraire de la sulfureuse Carmen. N'oublions pas les deux bohémiennes Frasquita et Mercedes, interprétées par la soprano québécoise Florie Valiquette et la mezzo-soprano Adèle Charvet, elle-même interprète de Carmen sous d'autres baguettes, à l’Opéra royal de Versailles notamment. 

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Mais l'œuvre de Bizet ne serait rien sans les chœurs, représentant le peuple et, en prolongation, les spectateurs à qui le compositeur donne ainsi une place sur la scène. Pour les quarante chanteurs et chanteuses professionnels du chœur de l’Opéra national du Rhin, la programmation de « Carmen » au PMC sonne comme un rappel de l'œuvre interprétée l'année passée sur la grande scène de l'opéra. Pour la Maîtrise de l’Opéra national du Rhin, les airs de « La Garde Montante » ou « Les voici ! » sont également des grands classiques, des monuments du répertoire, chanté par des générations de petits chanteurs. Il faut dire que « Carmen » est le premier opéra à tirer véritablement profit des voix des enfants dans un contexte lyrique. Elles apportent une allégresse et une énergie qui ne laissent personne indifférent !

Auteure : Nathalie Stey

A propos de l'auteure

Journaliste indépendante amoureuse de l'Alsace, Nathalie Stey a animé pendant 20 ans une revue professionnelle consacrée au transport fluvial et basée à Strasbourg. Elle a depuis élargi son spectre et assure aujourd'hui la correspondance en région pour le journal Le Monde et Le Mensuel éco Grand Est, tout en restant fidèle au secteur de la voie d'eau qu'elle s'attache à faire découvrir. 


Carmen, de Georges Bizet

Direction : Aziz Skokhakimov
Distribution : Carmen Elena Maximova - Don José Michael Spyres - Micaëla Elsa Dreisig - Escamillo Alexandre Duhamel - Frasquita Florie Valiquette - Mercedes Adèle Charvet - Moralès Thomas Dolié - Zuniga Nicolas Courjal - Le Dancaïre Philippe Estèphe - Le Remendado Cyrille Dubois.
Chœur de l’Opéra national du Rhin - Chef de chœur Hendrik Haas
Maîtrise de l’Opéra national du Rhin - Chef de chœur Luciano Bibiloni

Mardi 4 et jeudi 6 avril, 20h00
Palais de la Musique et des Congrès – Salle Érasme
Billets en vente en ligne : https://philharmonique.strasbourg.eu/

Conférence d'avant-concert
Pierre-Emmanuel Lephay
Mardi 4 et jeudi 6 avril 19h - Salle Marie Jaëll, entrée Érasme
Accès libre et gratuit, dans la limite des places disponibles