Ces nuances entre photo et peinture

L’espace d’art contemporain Fernet-Branca, à Saint-Louis, près de la frontière suisse, expose cet été trois artistes qui plongent le visiteur dans l’entre-deux insensible entre photo et peinture.

Tout est confus mais tout est connu, rien n’est prévisible dans ces mondes de flous et d’hyperréalité : le visiteur perd délicieusement pied cet été et cet automne à la fondation Fernet-Branca, à Saint-Louis. On y découvre trois regards sur la réalité, le souvenir et le besoin d’immortaliser la mémoire comme une recherche d’éternité…Autant de réflexions intemporelles menées par les trois artistes présentés, lors d’une triple exposition : celle du Français Olivier Masmonteil avec sa « Peinture, la fausse ingénue », celle du photographe grec Yiorgos Kordakis, intitulée « Polaroïds », et celle du peintre anglais James White, « I see you when I’ll see you ». Chaque artiste a toute sa place dans les vastes espaces de ce patrimoine industriel dédié à l’art contemporain, principalement à la peinture, la sculpture et la photographie.

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La peinture ringarde

« La peinture m’accompagne depuis longtemps, c’est une partenaire passionnante », s’amuse Olivier Masmonteil. L’artiste peintre français a sélectionné une cinquantaine de toiles qui forment une rétrospective de son travail depuis vingt ans.

Entré dans le milieu artistique en 2000, après des études d’art à Bordeaux, l’artiste dit s’être senti parfois à contre-courant. « Dans les années 1990, quand l’art laissait toute leur place aux installations, à la vidéo et aux performances, la peinture était considérée comme ringarde… » Quand l’artiste s’est intéressé à la peinture de la Renaissance, il y a découvert que les apprentis peintres commençaient par peindre les nuages, puis les arbres, puis les paysages, se rapprochant peu à peu du premier plan du tableau. C’est donc par là qu’il a commencé, lui qui a toujours apprécié les paysages et la nature de son Limousin natal.

 

Superposition de sérigraphie et de peinture

Entre figuration et abstraction, les œuvres qu’il a sélectionnées se distinguent par séries. Celle des Horizons, montrant des paysages striés de bandes superposées. Celle aussi des Paysages effacés : sur un fond blanc cassé évoquant un vieux papier jauni, l’artiste travaille en réserve, ajoutant autant de matière qu’il en enlève pour évoquer la mémoire de lieux. Sa série Mémoire de la peinture s’inspire des peintres classiques tels Rubens, Ingres ou Boucher. Sur une copie du tableau original, l’artiste pose un voile en sérigraphie, créant une accumulation de couches et de recouvrements…pour mieux dévoiler son propos.

Dans sa série des Baigneuses, des personnages apparaissent puis disparaissent du regard. Enfin, la série des Papillons reprend l’idée de la sérigraphie en superposant des papillons qui semblent épinglés au fond de leur boîte sur un paysage inspiré de Claude Gelée, dit le Lorrain. « Cette sélection m’a permis, confie l’artiste, de redécouvrir certaines pièces un peu oubliées », lui donnant l’occasion de reprendre un travail jamais achevé.
Olivier Masmonteil a en outre réalisé des œuvres spécialement pour l’exposition : un grand fusain sur toile et une série de toiles sur des horizons.

Confusion des perceptions

Bien qu’elles soient autonomes, les expositions des trois artistes sont reliées par le lien subjectif qui lie l’image à sa représentation. « Entre nous trois, le dialogue marche bien », estime Olivier Masmonteil. A sa peinture, répondent les œuvres très figuratives en noir et blanc du peintre James White qui ressemblent à s’y méprendre à des photos.
Ses peintures à l'huile en noir et blanc représentent des scènes et des objets du quotidien, tels un verre ou une bouteille à moitié vide, une porte entrouverte, un robinet qui coule. L'artiste londonien exécute ces œuvres sur des surfaces réfléchissantes - panneaux d'aluminium, de bois ou d'acrylique- de manière complexe dans une palette très contrastée, invoquant la tradition de la nature morte.
Les sources des œuvres de James White sont son environnement immédiat : maison, bars ou chambres d'hôtel. Les peintures de ces moments banals semblent témoigner de rencontres et d'événements ayant lieu juste avant, après ou hors cadre.
 

Entre poésie et surréalisme

L’esprit prolifique du photographe Yiorgos Kordakis le mène de la photographie créative et de la vidéo à de la direction artistique, de la narration à l'édition, selon une méthode d'observation méticuleuse. L’artiste met beaucoup de picturalité dans ses compositions, notamment grâce à des filtres, qui ainsi évoquent des décors de cinéma américain … Presque des peintures.

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Fasciné par la liberté d'expérimentation procurée par le film analogique instantané, Yiorgos Kordakis a utilisé pendant une dizaine d'années essentiellement des polaroïds pour capturer ses images. Il donne ainsi à ses photographies une esthétique singulière, à la fois surréaliste et poétique.

Il présente ici deux séries : « 10 000 American Movies » et « Global Summer ». Celle d’images faites dans une station balnéaire semble dialoguer tout naturellement, mais à distance, avec celle des Baigneuses d’Olivier Masmonteil.

Yiorgos Kordakis, Global Summer #1, 2007, 58 x 72 cm © Yiorgos Kordakis
Yiorgos Kordakis, Global Summer #1, 2007, 58 x 72 cm © Yiorgos Kordakis

Dans une ancienne distillerie

Ces œuvres sont à voir dans l’ancienne distillerie industrielle Fernet-Branca devenue musée d’art contemporain en 2004. Dans un style très sobre, le cabinet d’architecture Willmotte a transformé les lieux en respectant leurs volumes. Les fûts de l’ancien chai au sous-sol ont été conservés.
Dans un parcours organisé autour de la cour, le visiteur traverse des salles scandées de grandes cimaises blanches, cloisonnant l’espace en tranquilles alcôves. Tout est pensé pour ne pas perturber la contemplation des œuvres ici présentées. Plongée assurée dans un monde délicat et très sensible.

Lucie Michel

A la fondation Fernet-Branca, à Saint-Louis (2 rue du Ballon) jusqu’au 2 octobre 2022. Ouvert du mercredi au dimanche, de 13 h à 18 h. Tarifs : 6 € et 8 €. Gratuit pour les moins de 18 ans, détenteurs de la carte Culture, handicapés, enseignants.