Face à face avec un ours brun, un yak et mieux encore

A la manière d'un cabinet de curiosité augmenté, l'exposition Bestia, présentée au musée Würth à Erstein, place le visiteur au cœur d'un monde animal naturalisé du XVIIIe siècle dialoguant avec des œuvres d'art contemporain. 

Exposition bestia au musée Wurth

Qui a face à lui, juste à la hauteur de ses yeux, à 10 cm de son visage, une griffe d'ours brun, comprend à quelle vitesse l'animal peut déchiqueter un être humain. Côté face de l'animal menaçant, devenu inoffensif car empaillé depuis des lustres, s'offre au regard, juste entre ses griffes, un autoportrait contemporain grandeur nature de l'artiste anglaise Donna Stolz qui s'est représentée terrassée par des bisons. Côté pile de l'animal muet, entre gueule et patte griffue, s'aligne une série graphique de huit gravures de ses compères, signées par l'artiste alsacien Christophe Meyer. 

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Réjouissant 

C'est à de tels face-à-face inattendus et visuellement réjouissants que convie le musée Würth avec l'exposition Bestia consacrée à nombre d'aspects du règne animal : l'animal sauvage, les zoos, l'élevage industriel, la disparition de la biodiversité, la chasse... 
Inviter chaque visiteur à s'interroger en observant les animaux naturalisés prêtés par le musée zoologique de Strasbourg à l'occasion de sa fermeture pour travaux (oiseaux, papillons, loup, daim, chevreuil, mangouste, rapaces, coléoptères...) et suggérer une représentation grâce à des œuvres contemporaines de la collection Würth et à des prêts du Fonds régional d'art contemporain (Frac) Alsace de Sélestat : c'est presque « trop » de beauté offerte au regard.

Exposition bestia au musée Wurth
Le lynx et le loup à approcher de tout près - © Lucie Michel

Rapaces et scarabées crevés

Foisonnante dans ses propositions, l'exposition Bestia évoque sans conteste ces cabinets de curiosité de la Renaissance qui donnaient à représenter la variété vivante et minérale du monde. Elle distingue les espèces selon un parcours à travers les quatre éléments : air, terre, eau et feu. Le visiteur décolle avec des rapaces empaillés au-dessus de sa tête, fait la connaissance de l'impressionnant gypaète barbu, décrit comme le grand rapace d'Europe avec trois mètres d'envergure, totalement nécrophage. En tournant sur lui-même, il rencontre les sublimes Oiseaux (1964) du peintre allemand Gehrard Richter, en noir et blanc et en flou, une série méconnue de gravures sur l'aigle de Georg Baselitz... 

Des planches de délicats papillons aux ailes nacrées bleu électrique, roux ou vert, épinglées dans des tableaux de naturaliste, voisinent avec une Chasse aux papillons de Max Ernst...Non loin, presque cachée dans un recoin pour une rencontre inattendue, une œuvre hiératique de l'artiste belge Jan Fabre se décline en scarabées aux reflets moirés verts et bleus. 

L’œil du yak

Le visiteur oscille ainsi entre plongées mentales et imaginaires au gré des œuvres contemporaines et observations au centimètre près de tant d'espèces animales inaccessibles : est-il si courant de croiser un yak tibétain, de prendre le temps de plonger dans l’œil bienveillant de cet animal précieux pour son lait, sa laine et sa bouse sur les hauteurs de l'Himalaya ? 

Le rencontrer alors qu'il se détache sur une large toile du peintre allemand Bernd Zimmer (1980) lui redonnerait presque sa dimension vivante, face à deux têtes de vaches grandeur nature, en liberté dans un paysage de la vaste Amérique aux aplats rouge brun. On découvre ici le courant « Die Neuwilde » (les nouveaux fauves) dont est issu le peintre, voyage immobile en un quart de tour de regard.

Émotions animales

« Nous souhaitons sortir du clivage rationnel/émotionnel entre naturalistes et artistes. Nous voulons être dans la complémentarité pour inviter à renouveler notre regard sur le vivant », souligne Claire Hirner, commissaire de l'exposition. De fait, cela fonctionne. Regarder la nature à travers l'art et regarder les animaux d'aussi près invite à projeter des émotions sur eux. Mieux, cette observation du monde vivant devient propice à l'introspection. De quoi réfléchir aux propos de penseurs qui estiment que le concept de nature est une approche propre au monde moderne, que les humains n'en sont pas séparés. 

C'est ce que démontrent bien au-delà des mots la plupart des œuvres présentées, notamment celle du peintre Alexis Rockman, The concrete jungle (1991). Dans un paysage post-apo, l'artiste questionne la perte de la biodiversité, la vie après que l'homme aura disparu. 

Un cabinet du XVIIIe siècle

C'est le propre des musées zoologiques de présenter cette biodiversité disparue. Celles du musée de Strasbourg sont issues du cabinet privé du médecin et naturaliste strasbourgeois Jean Hermann (1738-1800), acheté par la Ville en 1804.  « Les œuvres d'art, comme les espèces naturalisées, permettent ensemble de porter un regard sur la nature et sur notre rapport au vivant, estime Samuel Cordier, conservateur de l'établissement. Ensemble, elles proposent des entrées pertinentes pour aborder notre appartenance à cet ensemble et notre rôle par rapport à son évolution. »

 

Le sapajou joue

Une belle démonstration en est donnée par l'une des rencontres les plus réussies de l'exposition : celles d'un ensemble de singes empaillés semblant jouer tous ensemble – sapajou, chimpanzé, saki à dos roux – face à une peinture grand format de Dieter Krieg. Affe (1979) représente un orang-outan bien planté dans sa nature luxuriante, à une époque totalement révolue : quand son espèce n'était pas encore menacée de disparition. 
Jamais les regards des animaux ne lâchent celui du visiteur confus qui s'interroge : quel est le plus prégnant, des œuvres bien choisies ou des animaux naturalisés, sortis de leurs collections figées pour prendre place dans un environnement naturel sublimé, augmenté ?

Le musée Würth fait partie des STA (Sites touristiques d'Alsace)

Lucie Michel

Au musée Würth à Erstein jusqu'au 7 septembre, ouvert du mardi au samedi de 10 h à 17 h et le dmanche de 10 h à 18 h. Gratuit. Visites guidées en français les dimanches à 14 h 30. Audioguides en français et en allemand. A voir également dans le jardin autour du musée, le Projet Eumélamine : une étude au long cours de l'artiste française Apolline Grivelet sur le processus de sélection animale, en l'occurrence celui des poules.


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