Gustave Doré, l’étoile de Strasbourg 

Reconnu très tôt comme l’un des plus grands illustrateurs de son temps, Gustave Doré sera honoré dans le cadre d’une exposition du 25 avril au 15 juillet au Palais Rohan. Une traversée dans l’édition illustrée au 19e siècle. 

Saviez-vous que Gustave Doré fait la fierté des Strasbourgeois ? Né le 6 janvier 1832 à Strasbourg et mort le 23 janvier 1883 à Paris, dans son hôtel de la rue Saint-Dominique, Gustave Doré reste pourtant un artiste méconnu. A la fois illustrateur, caricaturiste, peintre, lithographe et sculpteur, son œuvre singulière a inspiré aussi bien Jean Cocteau que Tim Burton. On en parle avec Franck Knoery, conservateur de la Bibliothèque des Musées de Strasbourg et commissaire de l’exposition "La constellation Gustave Doré".

 

Cette exposition, dédiée à Gustave Doré, s’inscrit dans la programmation Strasbourg, Capitale mondiale du livre – Unesco 2024 ainsi que dans le cadre des Rencontres de l’Illustration. Quelle en est la genèse ? 

Paul Lang, l’ancien directeur des Musées de la ville de Strasbourg, avait participé en 2014 à l’exposition Gustave Doré, l’imaginaire au pouvoir au Musée d’Orsay à Paris. Il souhaitait aborder à nouveau Doré puis il y a eu le Covid et les choses ont été repoussées. Quand on a appris que Strasbourg était candidate puis retenue pour Capitale Mondiale du Livre, Doré s’est alors imposé comme une évidence. Il s’agit d’un illustrateur assez connu des Strasbourgeois. Il y a une forme d’empreinte alsacienne cultivée autour de lui, même si c’est parfois exagéré.  

C’est-à-dire. Que pouvez-vous nous dire sur son rapport à Strasbourg ? 

Il a vécu à Strasbourg de 1832 à 1843 avant de partir à Bourg-en-Bresse. C’est un enfant qui a dessiné très tôt. Et on peut être assez fasciné par la qualité de ses dessins qu’il réalise très jeune. Enfant, il était décrit comme capable de mémoriser des images qui l’entouraient. Strasbourg n’est pas un motif prédominant dans son œuvre. Il a été très vite fasciné par l’architecture de Paris à son arrivée en 1847. Il oublie assez vite l’Alsace. Cela dit, dans son œuvre, on retrouve des motifs de la cathédrale de Strasbourg, les légendes de Sabine inspirées par les anges, des motifs que l’on retrouvera dans une toile positionnée à l’entrée de l’exposition. On montrera aussi des exemples de dessins réalisés à partir de l’horloge astronomique de la cathédrale.

Ce cadre culturel ne peut être négligé. Tout cela a marqué l’imaginaire de l’artiste. C’est pourquoi il avait un goût prononcé pour l’architecture médiévale et le récit épique. Enfin, c’est à l’occasion des célébrations autour du 400e anniversaire de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1840 à Strasbourg que l’on comprend le paradoxe Doré, tiraillé par son désir d’être reconnu comme artiste-peintre. 

« Gustave Doré, un stratège éditorial »

Quelles sont les spécificités de l’exposition ?

L’exposition va vraiment aborder Gustave Doré sous l’angle du livre. Illustrateur et concepteur de livre, sa fonction va déborder le cadre traditionnel de l’illustrateur. Ses illustrations entrent en concurrence avec le texte. Après avoir baigné dans cet univers des légendes d’Alsace, vient le moment où il arrive dans le monde de l’édition illustrée parisienne qui occupe une grande partie de l’exposition. Il entre alors dans la nouvelle économie du livre. Gustave Doré va contribuer à bouleverser ce milieu, en changeant les genres et les techniques avec des procédés graphiques inédits. Il va réhabiliter la gravure sur bois debout, il va aussi perturber le monde de la vignette romantique pour imposer des images en très grand format. L’économie du rapport texte, image va se renouveler. On montre comment Gustave Doré s’est inséré dans le milieu éditorial du 19e en plein développement.

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Il s’agissait d’un stratège éditorial, qui organisait des expositions en même temps que la sortie de ses livres, afin de saturer l’espace médiatique. Il estimait lui-même avoir fait 100 000 œuvres incluant les gravures, les dessins préparatoires, etc. On se situe surtout sur le champ du livre, sans trop aborder la question de la peinture, même si nous abordons ce paradoxe que Gustave Doré a toujours souhaité être reconnu comme peintre. 

De quelle manière cette idée de fabrique du livre sera mise en avant dans l’exposition ? 

Les visiteurs verront des dessins préparatoires, des matrices, des plaques de bois sur lesquelles dessinaient des graveurs. On verra des épreuves intermédiaires, avec des corrections sur les gravures. On montrera des grandes couvertures de livre, des affiches de libraire pour montrer la dimension de la commercialisation de ces livres.

« Des livres d’une grande audace »

On dit que Gustave Doré continue de hanter notre imaginaire, parfois à notre insu. Au-delà du fait qu’il ait donné un corps et un visage aux héros de la littérature occidentale, ses visions célestes continuent-elles de nourrir le cinéma et la bande dessinée ?  

 

On va plutôt comparer avec ce qui se faisait avant lui, afin de mettre en lumière la puissance de ses gravures. Sa grande force était sa capacité de synthèse. Sa technique de gravure de teinte permettait de faire des clairs-obscurs très puissants, une technique qui avait déjà une dimension cinématographique en soi par anticipation. Pour la bande dessinée, il a adopté un système graphique, inventé par le Suisse Rodolphe Töpffer, qui raconte des histoires à partir des images et qui leur adjoint des légendes. Nous sommes dans le principe de la BD qui a sans doute diverses origines.

A l’âge de 15 ans, il compose, dessine et lithographie Les Travaux d’Hercule (1847). Il invente alors des effets et de l’humour graphiques. Il avait une intelligence de l’image. C’est pourquoi on a tout fait pour que l’exposition éclaire vraiment les visiteurs sur les étapes du processus de fabrication et de commercialisation des livres depuis les premiers dessins préparatoires jusqu’aux publications abouties. Elle nous montre comment Doré s’est inscrit dans ce paysage éditorial complexe, et comment il l’a transformé.

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D’où cette idée de constellation dans le titre de l’exposition… ? 

Oui. L’idée de constellation, c’est pour évoquer ses très nombreuses publications qui, d’une certaine manière, scintillent. C’est une référence directe à son imagerie car très souvent on y trouve des sujets célestes, des anges, des astres qui ponctuent son œuvre. Il a vraiment conçu des livres d’une grande audace. 

INFOS PRATIQUES 

  • Tous les jours sauf le mardi. Les lundis, mercredis, jeudis et vendredis de 10h00 à 13h00 et de 14h00 à 18h00 et les samedis et dimanches de 10h00 à 18h00.
  • Du 25 avril au 15 juillet, Galerie Heitz / Palais Rohan 
  • 2, place du Château à Strasbourg 
  • tél. 03.68.98.50.00 
  • Visites en allemand et français 
  • www.musees.strasbourg.eu 

Recueilli par Florian Dacheux 

Rédacteur chez Batorama depuis mai 2021

A propos de l'auteur

Passionné par l'écosystème du fluvial depuis son enquête sur l'univers méconnu des bateliers au printemps 2021, Florian est depuis auteur pour le blog. Unique ville de France où une rue porte son patronyme (rue Léon Dacheux), la douceur de Strasbourg l'a toujours attiré. Il se laisserait bien tenter comme vous par un apéro vins/fromages à bord de NAO !