Une vieille révolutionnaire au musée

Composée à Strasbourg en avril 1792, la Marseillaise y a fait polémique en 1980 lors d'un non-concert... Comment est-elle passée d'un chant de guerre à un hymne de révolte mondiale, provoquant encore des frictions deux siècles plus tard ? 

« Allons enfant de la patrie / Le jour de gloire est arrivé /Contre nous de la tyrannie / L'étendard sanglant est levé / Aux armes et cætera / Entendez-vous dans les campagnes / Mugir ces féroces soldats / Ils viennent jusque dans nos bras / Égorger nos fils, nos compagnes / Aux armes et cætera... » 

Tout est dans le « et cætera » chanté par de tranquilles voix jamaïcaines pour une Marseillaise reggae signée Serge Gainsbourg. Voyant dans ce « et cætera » une menace contre « leur » France, des paras avaient menacé les musiciens qui accompagnaient le chanteur pour un concert prévu le 4 janvier 1980...à Strasbourg. De concert, finalement, il n'y eut pas, mais de Marseillaise, si : Serge Gainsbourg se présenta seul sur scène devant les militaires, entonna l'hymne français a cappella, conviant ainsi cet auditoire hostile à chanter en chœur à sa suite. 

La Marseillaise, un spectre politique
La Marseillaise revendiquée différents partis, de la droite à la gauche du spectre politique français - © Lucie Michel

Un chant pour l'Armée du Rhin 

Cet épisode est rappelé dans l'une des vidéos présentées au Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg : l'exposition consacrée à la Marseillaise y montre comment ce chant guerrier composé en 1792 est devenu, après avoir été interdit, l'hymne national de la France revendiqué par tous.
Morceau de fuselage d'avion, extraordinaire boite à musique, foulards, mais aussi sculptures, toiles et gravures... : inattendus sont les objets présentés dans le cadre de cette exposition organisée par le musée historique de Strasbourg, le musée d'histoire de Marseille et le musée de la Révolution française à Vizille. Trois ensembles d’œuvres illustrent le succès de ce chant de guerre, selon Monique Fuchs, l'une des commissaires de l'exposition. 

Marseillaise citation

Guerrière féroce 

A commencer par le monumental moulage de la sculpture de François Rude, exposée dans le hall central du musée, à l'entrée de l'exposition : Le Génie de la patrie, rapidement rebaptisé La Marseillaise, réalisé pour l'Arc de triomphe. Cette guerrière en colère, tout en violence et en mouvements incarne ce chant pour l'armée du Rhin que le maire de Strasbourg, Frédéric de Dietrich, avait commandé en avril 1792 à Rouget de Lisle pour encourager les hommes aux combats. 
Des soldats lâchés sur les champs de bataille, sans armes dignes de ce nom, ni officiers de commandement partis s'exiler. «Il faut attendre le succès de la bataille de Valmy, en septembre 1792 pour que ce chant de guerre connaisse le succès », rappelle Monique Fuchs. Très vite, la partition arrive à Marseille, peut-être par un réseau franc-maçon et le chant est repris par les volontaires montant à Paris pour aider les révolutionnaires. D'où son nouvelle appellation de Marseillaise. 

Plâtre de François Rude
Plâtre de François Rude pour incarner Le génie de la patrie, destiné à l'Arc de triomphe - © Lucie Michel

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Interdite en France 

Bien qu'interdite sous l'Empire de Napoléon, elle est intégrée à de nombreuses œuvres musicales classiques. Tout en devenant, rapidement après sa création, un hymne révolutionnaire. « Pendant la Révolution, elle était chantée à chaque opéra et lors des fêtes patriotiques, au cours desquelles les participants mettaient un genou à terre en chantant », précise Monique Fuchs. 
Témoin de ces fêtes qui popularisent ce chant, une eau-forte coloriée, signée Carnavalet, de la fin du XVIIIe siècle. La Marseillaise, incarnation de la liberté, y a les traits d'une femme à l'allure antique et altière. 
La Marseillaise connaît un succès immédiat à l'étranger : connue en Amérique du sud dès 1793, elle est chantée en Russie en 1825 et en 1917, reprise en Chine lors de la longue Marche de Mao et lors des manifestations de Tien Anmen à Pékin en 1989, en France encore par les Résistants menés au peloton d'exécution lors de la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne par les prisonniers libérés des camps nazis...

Fête patriotique
La Marseillaise personnifiée au centre de cette eau-forte coloriée représentant une fête patriotique, signée Carnavalet (fin du XVIIIe siècle) - © Lucie Michel

Le succès de deux inconnus 

Troisième clef pour comprendre l'incroyable succès de ce chant, le tableau Rouget de Lisle chantant la Marseillaise pour la première fois que le peintre Isidore Pils présente au Salon à Paris en 1849. Habillé en bleu, blanc et rouge, le compositeur lève le bras en chantant devant une petite assistance, dont le maire de Dietrich et son épouse. La toile est acquise par l’État à l'issue du salon mais dès le coup d’état de 1851, elle est expédiée fissa dans les réserves. L'œuvre est devenue ultra célèbre tant elle a été reprise sur différents supports, réunissant pourtant deux artistes aussi méconnus l'un que l'autre. 
Rouget de Lisle, d'abord : militaire en poste à Strasbourg, davantage intéressé par la musique que par la guerre, auteur d'opéras sans aucun succès. « D'ailleurs, il ne revendique la paternité de la Marseillaise que bien plus tard », précise Monique Fuchs. 
Isidore Pils, ensuite : On ne connaît de lui que cette œuvre, même si des dessins et des esquisses signées de lui sont à découvrir ici. Et quelle œuvre...

Rouget de Lisle chantant la marseillaise
Rouget de Lisle chantant la Marseillaise pour la première fois peint par Isidore Pils (1849) - © M. Bertola (Musées de Strasbourg)

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Marseillaise interactive 

A partir du moment où la Marseillaise devient l'hymne national français, en 1879, le tableau ressort des réserves nationales et ses déclinaisons sont innombrables : des porcelaines, des estampes, des foulards, des tapis... La Marseillaise fait l'objet d'une appropriation générale au XXe siècle : les partis politiques de tous bords s'en revendiquent et l’œuvre de François Rude est déclinée à l'envi. Sur un fuselage d'avion de la Première Guerre mondiale, des affiches de cinéma et de partis politiques, des bouteilles de bière...
Le chant lui-même est maintes fois réarrangé et détourné en versions pop, classique, jazz et reggae. Les visiteurs de l'exposition sont même invités à composer leur propre Marseillaise, au cœur de l'installation sonore et interactive de Tom Ways. Quarante ans après l'incident de Strasbourg, nul doute que Serge Gainsbourg aurait apprécié le dispositif.

Fuselage avion
Morceau de fuselage d'avion de la Première Guerre mondiale - © Lucie Michel

Lucie Michel

Informations pratiques :

« La Marseillaise », au musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg, jusqu'au 20 février.

Ouvert tous les jours sauf lundi de 10 h à 18 h.

A voir/faire au musée :

  • « Coup de ballet dans le musée » (danse) dimanche 20 février à 12 h et à 15 h ;
  • Atelier famille sur les drapeaux et les cocardes, dimanche 6 février de 14 h 30 à 17 h (gratuit) ;
  • Concert mardi 1er février à 18 h 15, 19 h, et 20 h (gratuit).