L'industrie Magnifique 2018, le début d'une histoire entre l'industrie et l'art

En 2018, l’industrie Magnifique frappait un grand coup et marquait les esprits des quelques 330 000 visiteurs qui découvraient, pour la première fois, 24 œuvres monumentales installées dans la ville de Strasbourg. L’objectif de cette opération d’envergure était d’allier l’art à la technique, l’industrie à l’émerveillement, grâce à des œuvres inédites et pour le moins inattendues exposées en pleine rue. Un pari réussi au vu du rayonnement que l’événement avait suscité, autant dans la presse que dans les foyers strasbourgeois.   

 

L’Industrie Magnifique : l’art de rue à travers le regard de grands industriels 

L’Industrie magnifique de 2018, c’était tout d’abord des mois de travail, de préparation, de création et de gouttes de sueur sur le front pour pas moins de 80 partenaires, privés ou publiques, qui se sont alliés aux services de la Ville et de la Région pour créer cette immense exposition. Toutes ces entreprises alsaciennes, qui se sont associées à pas moins de 24 artistes plasticiens, ont imaginé, conceptualisé et finalement créé des œuvres d’art contemporaines, admirées gratuitement par les passants et les curieux pendant une dizaine de jour. Cette opération d’envergure, qui mélangeait l’art, la communication à grande échelle, et la publicité de rue, fut une première dans notre ville, plus habituée aux vieilles pierres millénaires qu’aux constructions métalliques éphémères. Le contraste entre le monde moderne et l’esprit médiéval de la ville de Strasbourg n’en était que plus saisissant. Cette année-là, ce qui avait le plus marqué les esprits des Strasbourgeois, et sans doute ceux des touristes qui flânaient par hasard dans le coin, c’est sans conteste le squelette de Mammouth vieux de 12 000 ans exposés sur la place du Château, entre la Cathédrale Notre-Dame et le Palais Rohan.

Le grand mammouth place de la Cathédrale à l'occasion de l'industrie magnifique 2018
Le grand mammouth situé Place de la Cathédrale à l'occasion de l'industrie magnifique 2018. © Vincent Muller

Les édifices qui l’entouraient prenaient alors un petit coup de jeune en voyant sous leurs jupes de grès, ce majestueux bestiau haut de 3,40 mètres datant de l’ère glaciaire. Bien entendu, l’événement lui-même, symbolisé par ce Mammouth qui a fait le tour de France des médias, a suscité de nombreuses controverses. En particulier l’association entre un artiste et une entreprise a pu paraître pour certains partiellement commerciale. La place du mécénat dans la création artistique, la conservation du patrimoine ou la présentation au public des œuvres est pourtant une évidence. Il n’y a qu’à citer la réfection de la Chapelle Royale de Versailles avec le mécénat de Saint-Gobain ou plus proche de nous le soutien apporté à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat par le groupe Leclerc. En ce qui concerne les lieux d’exposition, alors que la Bourse du Commerce de François Pinault fait la une du monde culturel depuis quelques semaines, nous avons encore en mémoire l’ouverture de la Fondation Louis Vuitton de Bernard Arnaud en 2014. Et c’est sans parler des Gugenheim (mines), Gulbenkian (pétroles), Würth (outillage), Burda (presse), Cartier (joaillerie)…

Cette juxtaposition artiste-entreprise a peut-être pu paraître plus frappante dans le cadre du Mammouth puisque celui-ci figure sur le logotype de la société. Acheté quelques mois avant l’inauguration de L’Industrie Magnifique lors d’une enchère de la célèbre maison lyonnaise Aguttes, il était prévu que le squelette intègre le hall du nouveau siège social de l’entreprise SOPREMA (Société de Produits et Revêtements d'Étanchéité MAmmouth), Mammouth étant la marque commerciale déposée par l’arrière-grand-père du dirigeant actuel pour le tout premier produit commercialisé en 1908. SOPREMA décide de prêter sa toute nouvelle acquisition à l’artiste et architecte français Jacques Rival qui avec l’aide d’AquaticShow fait une proposition entre œuvre d’art et happening. Baptisée Mammuthus Volentes, l’œuvre comme en lévitation, particulièrement la nuit, suscite un incroyable émerveillement et touche au cœur l’objectif voulu par les promoteurs du projet : créer le magnifique. 

 

Deux ans de préparation pour faire vivre une idée peu commune

C’est l’association Industrie et Terroirs qui déjà en 2016 avait porté le projet de cette rencontre entre l’art et l’industrie sur la place publique. Durant un an, il a fallu convaincre les entreprises, les pouvoirs publiques, les artistes et l’ensemble des partenaires de se mettre en avant aux yeux de tous, qui plus est à grands renforts de financements et de combats de coudes. Un pari pas gagné d’avance qui a porté ses fruits : rappelons que 330 000 personnes se sont déplacées pour admirer les œuvres.


Créer une alliance entre ceux qui possèdent, ceux qui imaginent et ceux qui créent

Le but premier de LIM, et pas des moindres, est de faire converger les savoir-faire et de rassembler toutes les ressources nécessaires à la réalisation d’une œuvre monumentale. Pour cela, en 2018 déjà, il a fallu réfléchir aux matériaux à utiliser, à l’échelle, à la technique, à la sécurité et aux risques mais aussi mobiliser des centaines de personnes qui chacune avait sa pierre à apporter et leur domaine de compétence à faire-valoir. Encore un pari gagné.

Dans les ateliers de l'industrie Magnifique
© Nicolas Rosès

 

Une opération d’envergure surveillée de près par toutes les parties prenantes

L’industrie Magnifique n’existerait pas sans les pouvoirs publics et les services de la Ville qui se sont mobilisés pour exposer ces 24 œuvres et transformer Strasbourg en galerie à ciel ouvert. L’organisation et la préparation technique avaient alors duré des semaines avant le top départ de l’exposition, et ce sont des dizaines d’agents de la commune, sous l’œil inquiet des élus, qui encadraient les opérations de transport et de sécurisation. Bien évidemment, des entreprises spécialisées étaient là pour la mise en place, l’éclairage, la sécurité des objets et des personnes, mais on sentait que la tension était palpable (notamment pendant la mise en place du mammouth). Car en effet, c’est la réputation de toutes ces entités qui était en jeu… Mais finalement, aucun souci à signaler. 


Raconter une entreprise à travers une œuvre, un sacré défi

Évidemment, l’art est sujet à interprétation, il a donc fallu raconter au grand publique le processus de coopération entre les artistes et l’entreprise, la démarche de l’œuvre en somme. Ils ont alors imaginé un récit qu’ils ont diffusé à leurs collaborateurs, à leurs clients, leurs fournisseurs, leurs partenaires et autres agences de presse. Cette opération a fait l’objet d’une réelle démarche en amont de l’exposition (pour l’édition 2021 la médiation a été particulièrement soignée avec de nombreuses visites en partenariat avec l’Office de Tourisme de Strasbourg et de sa Région, la présence des artistes au pied de leurs œuvres…). Certes on peut regretter que certains médias aient préféré relayer les belles images plutôt que les récits des œuvres à proprement parler. Si le spectacle a peut-être pris le dessus, c’est sans conteste une des raisons du succès de cette première édition qui permettra à terme de redonner au fond toute sa place. 

Même si L’Industrie Magnifique en met plein les yeux, elle n’en est qu’à ses balbutiements. En effet, au bout de deux éditions le spectacle est au rendez-vous, mais les porteurs de projet voient déjà plus loin et comptent bien mobiliser toujours plus d’industriels et d’artistes et pourquoi pas à travers toute la France. Tout cela pour créer, à terme, une véritable fête de l’art et de l’industrie à date fixe, un peu comme la fête de la musique


 

 

Auteur : Bastien Pietronave