Comme un poisson dans l'Ill

Des saumons dans la Bruche, des anguilles dans la Petite Camargue alsacienne... C'est pour permettre aux poissons migrateurs d'être à nouveau présents en Alsace que V.N.F. a engagé cet été d'importants travaux au barrage des Faux Remparts. Un investissement rendu obligatoire par la réglementation européenne, qui impose de rétablir la continuité écologique des cours d'eau.
 

La nouvelle passe à poisson de Strasbourg
La nouvelle passe à poisson prendra place en rive gauche de l'Ill, le long du bâtiment de l'ENA. - © V.N.F. Strasbourg


Elle n'est pas passée inaperçue cet été, la pelle mécanique posée sur une barge, au beau milieu de l'Ill. V.N.F. a en effet démarré un important chantier au barrage des Faux-Remparts et ces opérations ont attiré de nombreux curieux. Des palplanches (planches métalliques) ont été battues dans le lit de la rivière pour former un enclos étanche autour de la passe à poisson existante et pouvoir ainsi la retirer. La largeur ainsi libérée a été utilisée pour poser une nouvelle vanne, plus grande que les précédentes et motorisée. Le débit de l'Ill à cet endroit et la hauteur de la rivière dans le périmètre de la Grande Île et de la Neustadt pourront dorénavant être commandés à distance voire, à plus long terme, être gérés de façon automatique. Une nouvelle passe à poissons sera par ailleurs réalisée en rive gauche de l'Ill, le long du bâtiment de l'ENA, à un endroit pouvant accueillir les 9 bassins successifs constituant le nouveau passage. Contrairement à l'ancien ouvrage, âgé d'une quarantaine d'années et qui ne laissait passer que les plus sportifs, le nouvel équipement sera accessible tant aux poissons sauteurs (saumon, truite) qu'aux poissons d'eaux calmes (brochet, perche, anguille).

Les travaux de la future passe à poissons de Strasbourg
La pelle mécanique servant au battage des palplanches a dû travailler depuis un ponton installé au milieu de l'Ill. © V.N.F. Strasbourg

Pour un retour du saumon dans les Vosges

Schéma de la future passe à poissons de Strasbourg
La nouvelle passe à poissons sera constituée de 9 bassins successifs, formant 8 petites chutes et équipés d'échancrures pour les poissons non sauteurs - © V.N.F. Strasbourg

Une directive européenne de 2000 impose en effet aux États de rétablir un bon état écologique de leurs cours d'eau et notamment, de permettre en leur sein la circulation des poissons. Certains, comme le saumon, grandissent en mer puis remontent fleuves et rivières pour se reproduire en eau douce. D'autres, comme les anguilles, naissent en mer mais remontent ensuite les cours d'eau continentaux pour achever leur croissance en toute quiétude. La construction de barrages pour produire de l'électricité ou gérer le débit d'une rivière ont cependant rompu ces cycles. L'ouvrage des Faux-Rempart, en particulier, constitue le dernier verrou avant les zones de reproduction constituées par les affluents de l'Ill. Seul le barrage rhénan d'Iffezheim le sépare de la mer, et ce dernier a été équipé d'une passe à poissons en 2000. Alors que plusieurs lâchers d'alevins ont été réalisés ces dernières années dans la vallée de la Bruche, il était important de permettre aux saumons ainsi réintroduits de retrouver le chemin de leurs origines, en leur frayant un passage.

[LIRE AUSSI >> LA BOURDONNAIS, CE PORT OU TOURISTES ET FRET FLUVIAL SE COTOIENT]

Un chantier spectaculaire et très contraint

Mais construire un ouvrage en béton armé, dans le lit d'une rivière à courant libre, en plein milieu d'un quartier historique tel que celui de la Petite France, ne va pas de soi. « Il n'était pas possible de placer une grue sur le pont de l'Abattoir ; la pelle que nous avons utilisé a donc été mise sur une barge. Mais celle-ci n'aurait pas pu passer sous les ponts. Il nous a donc fallu amener la pelle par la route et la charger sur place. Et comme il était hors de question de couper la circulation des bus sur le quai, toutes les opérations de grutage ont été réalisées de nuit », explique Olivier Christophe, responsable ingénierie de V.N.F. à Strasbourg. 

Travaux pour la futur passe à poissons de Strasbourg
Pour pouvoir dégager l'ancienne passe à poissons, il a fallu la mettre à sec en posant un rideau de palplanches tout autour. © V.N.F. Strasbourg

« On a limité les nuisances au maximum », ajoute Olivier Tayllemin, responsable du pôle infrastructures et ouvrages de la société Artelia, en charge du chantier. « Certains matériaux, comme les palplanches, ont ainsi pu être amenés par la voie d'eau, qui a aussi servi à l'évacuation des déblais. Quant à l'impact des vibrations causées par le battage des palplanches sur les bâtiments environnants, en particulier la tour du Bourreau et la Commanderie Saint Jean, nous avons déposé un référé préventif pour disposer d'un suivi en temps réel ».

Dans ces endroits mal référencés, les imprévus sont la règle et le chantier de la passe à poisson n'y a pas fait exception. En voulant mettre l'ancien ouvrage à sec, les ouvriers sont tombés sur une ancienne dalle de béton coulée à quelques centimètres du fond de la rivière et depuis longtemps oubliée. Impossible d'y planter des palplanches ; le dispositif de mise à sec a donc dû être reculé de 2 à 3 mètres. Autre difficulté : celle liée au courant, déjà fort à cet endroit et que les conditions météorologiques ont accentué, ce qui a rendu le travail des ouvriers encore plus difficile.

[LIRE AUSSI >> DES PROJETS DE TERRITOIRE POUR REVITALISER LE TOURISME FLUVIAL]

Une navigation plus facile

La première phase du chantier, comprenant la démolition du milieu du barrage et la mise en place d'une vanne moderne, est désormais achevée. La construction de la passe à poissons en tant que telle vient quant à elle de démarrer. Elle devrait s'achever à l'automne. Le barrage des Faux-Remparts n'est cependant qu'un des éléments du système hydraulique assurant la gestion de l'Ill navigable, à côté du barrage des Glacières, dépourvu de passe à poissons mais difficile à modifier - pour d'évidentes raisons d'accessibilité -, et des barrages plus modernes de l'Aar et du Doernel. Reste le barrage de la Robertsau, qui devrait être totalement remanié l'année prochaine. Un investissement nécessaire non pas pour assurer le passage des poissons, qui aujourd'hui déjà peuvent le franchir sans problème, mais surtout pour améliorer la sécurité des agents et de la navigation. Il s'agit en effet de l'un des derniers ouvrages à aiguilles de France, constitué d'une série de pieux enfoncés directement dans le lit de la rivière. Pour adapter le barrage au débit de celle-ci, les agents de V.N.F. sont amenés à placer (en cas de baisse du niveau de l'eau) ou à retirer (en cas de crue) ces pieux un à un, de façon manuelle – et dans des conditions parfois périlleuses. Le nouveau barrage sera constitué au contraire de vannes motorisées pouvant être actionnées à distance.  
 

Le barrage de la robertsau
Le barrage de la Robertsau est le prochain ouvrage auquel V.N.F. a prévu de s'attaquer. Il sera totalement reconstruit l'année prochaine. © V.N.F. Strasbourg

Auteure : Nathalie Stey 

A propos de l'auteure

Journaliste indépendante amoureuse de l'Alsace, Nathalie Stey a animé pendant 20 ans une revue professionnelle consacrée au transport fluvial et basée à Strasbourg. Elle a depuis élargi son spectre et assure aujourd'hui la correspondance en région pour le journal Le Monde et Le Mensuel éco Grand Est, tout en restant fidèle au secteur de la voie d'eau qu'elle s'attache à faire découvrir.