La Place, hommage à une communauté disparue

Dimanche 13 mars à 15h avait lieu la projection-débat du documentaire La Place de Marie Dumora au sein du Musée d’Art Moderne de Strasbourg, dans le cadre du festival Arsmondo. Retour sur une œuvre intimiste et sensible. 

Après la Seconde Guerre Mondiale, la ville de Colmar accorde un bout de terrain à la communauté tsigane, près des rails de chemin de fer, nommée La Place par ses habitants. A partir de 2010, ils sont contraints de partir, les autorités de la ville souhaitant raser cet endroit pour y développer un projet immobilier. Depuis la sortie du documentaire en 2011, la Place n’existe plus et emporte avec elle presque 70 ans d’Histoire où se côtoient les différentes générations d’une communauté trop souvent méprisée.

La place de Marie Dumora

Un endroit hors-normes 

Des caravanes sont regroupées sur un terrain d’une ancienne déchetterie. Voici la Place, cet espace périphérique de la ville de Colmar, où les trains de marchandises passent à toute allure tous les matins, et où les rangées de vignes sont cachées derrière un haut mur blanc. Pour les autres, la Place est un terrain vague, un « camp » de tsiganes, pour eux, elle est leur village. La réalisatrice nous propose une immersion dans le quotidien de cette micro-communauté où se mêlent les langues, au rythme des anniversaires d’enfants, réparations électriques en tout genre, confidences et rires au coin du feu ainsi que les célébrations religieuses…

Aucun fil narratif ou didactique, le documentaire s’attarde sur des instants du quotidien et de cette mémoire d’un lieu, espace de liberté péri-urbain. La réalisatrice ne juge pas, ne raconte pas à leur place, l’histoire se déroule d’elle-même devant sa caméra. « Nous sommes dans le monde mais nous ne faisons pas partie du monde. » confie un jeune homme ayant grandi ici. Les Gens du Voyage représentent une autre manière de penser, de vivre, d’être au monde.

Un autre rapport au temps 

Marie Dumora a suivi ces familles durant plusieurs mois. A l’image, impossible de percevoir si cela fait des jours, des semaines ou des mois qui passent. Certaines se lavent les cheveux sous un soleil éclatant, qui laisse place ensuite à une tempête, qui oblige les uns et les autres à ranger les installations et grandes tentes de toile. Les arbres ont été plantés par la communauté nous disent-ils, la maison transportable et démontable du doyen Ramuncho construite avec du bois récupéré. Tout est toujours en mouvement, dans un même mouvement de caméra, les scénettes de vie s’enchaînent, le monde s’entraide dans ce lieu hors du temps.

La place de Marie Dumora 2

Le regard de la réalisatrice est réaliste, tendre mais jamais intrusif. Il y a un respect de la personne en face, une volonté de témoigner d’un commun accord. Quelques questions sont posées, les personnes se confient ou non, spontanément. Une grand-mère raconte la déportation de sa famille dans les années 40, au camp d’Argelès-sur-mer. La fuite est due à un raz-de-marée épique, selon la légende familiale, empêchant en même temps leur poursuite par les gardes du camp. Sous forme de transmission orale, l’histoire d’un génocide massif méconnu, de la discrimination de ce peuple, moins sanglante actuellement mais toujours d’actualité.

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Une déconstruction des stéréotypes 

Dans l’intervention qui suit la projection, une des membres de la LICRA Bas-Rhin, association de lutte contre le racisme remarque : « Tout au long du film, il n’y a rien d’acerbe. Une volonté de voir la vie triompher. » Aucune rancœur n’anime les protagonistes du documentaire, tellement habitués à l’exclusion et la marginalisation de la société. A la fin du documentaire, une famille emménage dans son premier appartement, ayant toujours vécu en caravane. Une transition difficile pour ces personnes qui ont toujours vécu en communauté, et qui accorde peu d’importance au matériel. « Ce qu’on possède nous représente en société. Alors que là-bas, à la Place, non. » explique Marie Dumora. Documenter l’histoire de cette Place, des trajectoires d’individus qui ont « un rapport au monde très sensible ». « Je ne suis ni anthropologue, ni journaliste », ce qui explique le regard pudique qu’offre la documentariste sur cette micro-société.

Entre des instants capturés au vol, il y a en filigrane cette incompréhension qui persiste : Pourquoi cette volonté de la part des autorités de sédentariser les nomades ? Ce que l’un des protagonistes, Ramuncho, résume en quelques mots : « Je ne sais pas pourquoi ils ne veulent pas qu’on voyage. Ils sont peut-être jaloux… » 

 

Biographie de Marie Dumora 

Marie Dumora tourne ses films dans l’Est de la France à quelques arpents de terre les uns des autres et s’est créé ainsi un territoire de cinéma. Le personnage d’un film l’amène vers le suivant comme un fil d’Ariane, si bien qu’il n’est pas rare de les retrouver quelques années plus tard d’un film à l’autre.

Ses films ont été sélectionnés ou récompensés dans de nombreux festivals, la Berlinale, Cannes, la Viennale, Madrid, Vilnius, le FID Marseille, Festival du Réel, Entrevues Belfort.

Filmographie 
Elle est l’autrice de huit longs-métrages dont Avec ou sans toi (2001), Je voudrais aimer personne (2008), La Place (2011), Belinda (2016), Forbach Swing (2019), Loin de vous j’ai grandi (2020). 

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Programmation détaillée
Site Opéra National du Rhin

Auteure : Lucie Bousquet 

A propos de l'auteure 

Formée à l’écriture et à la communication, Lucie a commencé dans les médias pour un magazine digital en Chine. Après quelques années dans la gestion de projets associatifs et artistiques, elle se lance en tant que rédactrice dans les domaines du tourisme et de la culture. En veille permanente sur l’actualité sociétale et culturelle, Lucie vit entre Strasbourg et Paris. Elle participe régulièrement à des projets collectifs autour de l’écriture et du numérique.

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