Tropic Ice, ou la beauté d’un désastre

L’installation de photos Tropic Ice de la photographe Barbara Dombrowski démontre l’interdépendance mondiale des effets du changement climatique. Au musée Würth, à Erstein, jusqu’au 18 septembre. 

Ses installations de photos très grand format in situ émeuvent et nous heurtent. Dix photos en grands formats imprimées sur quatre grands panneaux installés dans le parc du musée Würth attire l’attention du visiteur : plongeon immédiat en plein Tropic Ice, l’installation de l’artiste photographe allemande Barbara Dombrowski. Celle-ci a tenu à confronter la nature du parc du musée à celles de régions plus éloignées, victimes du dérèglement climatique. A l’intérieur du musée, au Café des arts, est projeté un film sur la réalisation de ce projet. 

Grâce à ses images et à ses installations, Barbara Dombrowski crée des rencontres entre des populations indigènes des cinq continents, vivants dans des zones climatiques très différentes : dans l’est du Groenland, dans la forêt amazonienne en Équateur, chez les Massaï en Tanzanie, chez des peuples nomades de Mongolie, et dans l’archipel micronésien des Kiribati. Echange avec l’artiste. 

 

En 2000, touchée par le dérèglement climatique, vous avez voulu montrer qu’en matière de climat, tout est inextricablement lié. Pourquoi vous êtes-vous lancée seule dans ce projet à échelle mondiale ? 

« A la naissance de mon fils en 2000, j’ai pris conscience de l’importance de ce sujet, alors peu traité dans les médias. J'ai d'abord demandé aux médias avec lesquels je collabore s’ils pouvaient en parler, mais ils ont trouvé le sujet trop complexe. En 2009, j'ai donc décidé d'aborder le sujet par moi-même, en tant qu’indépendante. J'ai rencontré les peuples autochtones des cinq continents qui sont affectés par le réchauffement climatique alors qu’ils n’y ont pas contribué. 

J’ai commencé en février 2010, par une première visite en Équateur. Je voulais montrer des gens, pas des catastrophes. Je voulais faire comprendre que nous sommes tous connectés et que rien de ce que nous faisons ici ne reste sans effet dans les endroits les plus reculés du monde. Les premières années, je me suis consacrée aux deux points de basculement que sont l'Amazonie et l'Arctique avec les peuples Shuar en Équateur et Inuits à l'est du Groenland. »

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Comment réussissez-vous à montrer cette interdépendance d’un point à l’autre du globe ? 

« Je rassemble les photos en installations artistiques. En 2019, j'ai enfin réuni les peuples des cinq continents dans une installation circulaire sur un tarmac en Allemagne. La juxtaposition des plans envoûtants et grand format nous fait comprendre que nous sommes tous connectés, même dans les régions les plus éloignées du monde. La crise climatique n'affecte plus seulement les pays du Sud, mais est désormais omniprésente dans les pays du Nord. Et rien de ce qui se passe ici ne passe inaperçu dans les endroits les plus reculés. »

Vous avez installé les photos dans d’autres régions du monde que là où vous les avez prises. Pour mieux surprendre ?

« Je voulais construire un pont entre deux régions extrêmes et replacer les personnes photographiées dans un nouveau contexte. Les images créées à partir des installations dans la forêt tropicale et au Groenland illustrent la crise climatique d'une manière nouvelle et obsédante. Elles éveillent la curiosité. C'est ainsi que vous entrez en conversation avec les gens. J'ai délibérément choisi une toile textile légère de 112x165cm comme matériau des installations, ce qui correspond à la taille d’une personne de taille moyenne debout. » 

 

La relation entre photographe et photographié est selon vous primordiale. Alors comment avez-vous choisi les photos exposées ?

« Mon choix s’est porté sur les rencontres que j’ai jugées importantes, les personnes avec lesquelles j'ai vécu, les gens qui m'ont inspirée, notamment les chamans. Dans la photographie de portrait, si la relation fonctionne bien, le sujet se dévoile à un moment, il laisse entrevoir son âme. » 

Universel, votre message se revendique de l’animisme…

« C’est une autre dimension de mon travail, laquelle souligne la vision des peuples animistes qui voient toute vie comme animée. Ce qui contraste avec les modes de vie hédonistes des sociétés globalisées du Nord, avec la destruction qui y est associée. » 

« Dépendance aux autres formes de vie »

Barbara Dombrowski cite ce passage de La pensée sauvage de Rüdiger Sünner (inspiré de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss). « La vision du monde animiste implique le refus d'une démarcation nette entre les mondes humain et non humain et rappelle l’importance de notre dépendance aux autres formes de vie. D'autre part, il y a la philosophie centrée sur le sujet de l'Occident, qui voit la plus haute réalisation de la culture dans l'autonomie du « je ». La philosophie des Lumières, ainsi que le christianisme, ont toujours mis l'accent sur la primauté du sujet conscient sur un monde animal et végétal considéré comme inanimé. Notre "je" n'est rien sans l'air qui nous entoure, sans la terre qui nous nourrit et l'eau qui compose 70% de notre corps. Que nous en soyons conscients ou non, lorsque nous nous tenons à côté d'un arbre, nous respirons l'oxygène qu'il produit et le nourrissons avec le gaz carbonique que nous dégageons. Il existe un lien mutuel profond dans lequel chaque partie dépend de l'autre. »

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Des conférences sur « Tropic Ice »

Née à Stuttgart, Barbara Dombrowski travaille principalement sur des projets indépendants et enseigne la photographie documentaire à Hambourg. Elle donne également des conférences sur son travail Tropic Ice, qui lui a valu de nombreux prix, et sur l'importance de l'engagement artistique face à la crise climatique. Elle a réalisé l’ouvrage Everyday Worlds of Climate Change avec le Cluster of Excellence de l'Université de Hambourg. En 2017, elle est devenue partenaire officielle de l'ONU à la COP23 à Bonn avec son travail Tropic Ice. 

Exposition Tropic Ice, au musée Würth à Erstein jusqu’au 18 septembre, ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 17 h (18 h le dimanche), gratuit. Visites « De culture en culture » dans le parc avec l’Association Canop’Terre d’Erstein sur le thème Nature/Culture.

Infos sur https://www.musee-wurth.fr/

Auteure : Lucie Michel