Le haut de gamme de la visite urbaine

Basé à Lorient et Nantes, Ship ST est un bureau d’études spécialisé dans l’ingénierie et l’architecture navales. Pour ses bateaux de nouvelle génération, Batorama a notamment fait appel à ses compétences. Entretien avec Laurent Mermier, le directeur général d’une entreprise reconnue pour ses solutions techniques sur mesure.

 

Vous travaillez actuellement sur des bateaux promenades nouvelle génération pour la future flotte strasbourgeoise de Batorama. Où en est le projet ?

Le projet est de décarboner totalement la flotte de Batorama. Il s’agit d'imaginer et de créer des bateaux zéro émission. On va signer cet été afin de construire le prototype qui sera testé pendant un an. S’il convient, il y aura ensuite une série de six bateaux identiques pour une mise en service à partir de 2023.

Quelles sont les évolutions apportées ? 

Jusqu’ici les bateaux tournaient au GTL (Gaz-To-Liquid) avec un moteur thermique. Désormais, on n’aura plus aucun moteur thermique à bord. Le bateau sera entièrement électrique, avec une autonomie permettant de l’exploiter toute la journée. Techniquement, il s’agit d’un bateau complexe. La difficulté du projet de Batorama réside dans les contraintes en termes de dimension mais aussi du fait qu’il faut pouvoir passer sous les ponts (très faible tirant d'air) et naviguer certaines fois en eau très peu profonde. Au-delà de l’aspect zéro émission, il y a d’autres caractéristiques innovantes sur ce bateau dont la capacité est de 135 places à l'intérieur et 10 sur le pont extérieur. Il est à la fois ouvert et fermé. Fermé car entièrement vitré. Mais aussi ouvert car les vitrages seront escamotables pour pouvoir, par beau temps, le transformer en bateau extérieur. L’expérience sera également numérique car une tablette sera intégrée dans le dos de chaque siège avec accès à des contenus complémentaires à la visite proposée, la possibilité d'interagir avec l'équipage ou de voir comme si vous étiez au poste de pilotage . 

Intérieur des futurs bateaux-promenades électriques du projet Caravelle de Batorama
Intérieur des futurs bateaux-promenades électriques du projet Caravelle de Batorama

 

"On se retrouve sur un bateau décapotable électrique à grande autonomie"

[ Lire aussi >> Projet Caravelle : qui construira le premier bateau zéro émission de Batorama ]

Vous aviez réalisé un bateau assez équivalent en Charente nommé le Bernard Palissy 3. Le projet Batorama représente-t-il un tout autre challenge ?

Totalement, c’est un vrai challenge. C’est un bateau relativement petit qui sait tout faire, avec une vraie autonomie. On tient 16 heures dans des conditions environnementales assez sévères. Strasbourg est un des coins les plus compliqués en termes de météo sur le territoire. En été, il fait très chaud, et en hiver, il fait très froid. Et nos études montrent que nous arriverons à chauffer et climatiser le bateau en utilisant l’énergie électrique chargée pendant la nuit. Le fait que ce soit un bateau entièrement vitré, pour l’expérience client, c’est absolument génial. On peut profiter d’une vue à 360 degrés pour admirer le paysage de la ville visitée. On se retrouve sur un bateau décapotable électrique à grande autonomie, avec toutes les options à bord telles que les tablettes. Aujourd’hui, il n’y a pas d’équivalent en Europe. Ce sera le haut de gamme de la visite urbaine. Le concept devrait intéresser bientôt d’autres villes telles que Amsterdam ou Paris.

Caravelle, maquette du nouveau bateau-promenade électrique de Batorama
Maquette du futur bateau promenade électrique de Batorama du projet Caravelle


Quel est votre regard sur le secteur du tourisme fluvial à l’heure de la transition écologique ? Etes-vous confiant pour l’avenir ? 

Je dirais que si on veut décarboner le fluvial, commencer par les bateaux promenades à la journée est selon moi la bonne première étape. Ce sont des bateaux qui consomment peu et qui peuvent se recharger à chaque tour, à chaque pause ou comme chez Batorama la nuit. Ils sont très adaptés à la propulsion électrique. Il n’y a donc aucune raison pour que le secteur des bateaux promenades ne bascule pas entièrement vers des bateaux électriques. La seule raison, c’est le coût d’investissement. Cela oblige un armateur comme Batorama à investir dans la conception puis dans la construction d'un bateau neuf. Le deuxième frein, c’est le manque d’installations terrestres de recharge. Si les pouvoirs publics pouvaient installer des bornes tous les 10 kilomètres, on pourrait même développer le transport de marchandises en électrique. D’autant plus qu’économiquement parlant, le coût global construction-maintenance-carburant d’un bateau électrique reviendra moins cher qu’un bateau thermique une fois que ces technologies seront industrialisées. 

 

"La période actuelle est très intéressante pour les ingénieurs"

Depuis la création de Ship-ST en 2000, vous êtes intervenus dans plus de 1000 projets maritimes, fluviaux et lacustres. Vous avez notamment dessiné le projet du fameux Polar Pod, la future plateforme destinée à dériver dans le courant subantarctique. Racontez-nous… 

Les appels d’offres de la construction du Polar Pod sont en cours et le chantier sera sélectionné avant la fin de l’année. La construction prendra ensuite deux ans. Sur ce projet, nous sommes un peu le pilote global du concept, du plan, des calculs. On a travaillé en partenariat avec beaucoup d’autres cabinets d’ingénierie français. Humainement, c’était passionnant et impressionnant de travailler avec Jean-Louis Etienne qui, avec son énergie et son réseau, a réussi à convaincre des partenaires financiers et scientifiques de la pertinence du projet. C’est plus de dix ans de boulot qui se concrétisent. Le concept est de pouvoir faire travailler huit personnes (cinq scientifiques et trois marins) dans la zone la plus difficile de la planète, cet océan austral qui fait le tour de l’Antarctique dans les cinquantièmes hurlants. Le Polar Pod y dérivera pendant deux à trois ans en autonomie complète d’énergie grâce aux éoliennes.

Polar Pod de Ship ST
Le Polar Pod, vaisseau écologique dessiné par Ship ST et conçu par le médecin explorateur Jean-Louis Etienne

D’autres défis maritimes en cours ? 

En ce moment, on parle beaucoup d’hydrogène. Nous avons déjà réalisé une petite navette fluviale à hydrogène sur l’Erdre à Nantes, la Navibus H2. Beaucoup de collectivités souhaitent tester. Mais il ne faut pas oublier qu’on peut diminuer son impact environnemental sur des bateaux thermiques optimisés. Face aux polémiques sur les batteries polluantes, on continue à améliorer nos compétences sur les calculs d’impact environnemental sur les cycles de vie. C’est très intéressant car ça remet en cause des a priori. Ce que fait Zéphyr & Borée en termes de propulsion vélique pour des navires du large a beaucoup de sens. Il y a une énergie abondante voire même gratuite au large. Nous suivons également ces sujets-là. En vérité, la période actuelle est très intéressante pour les ingénieurs. Cela reste compliqué pour les armateurs de savoir vers quelle technologie s’orienter. Chacun a sa solution. De notre côté, nous ne sommes pas pour une technologie plus qu’une autre. On essaie d’appliquer des raisonnements rationnels et quantifiés pour comparer les technologies, et ainsi orienter au mieux nos clients.

Recueilli par Florian Dacheux

 

A propos de l'auteur

Trentenaire basé en banlieue parisienne, Florian navigue dans le monde des médias depuis 2005. Des bases du métier appris en presse quotidienne régionale à Avignon, il a connu une expérience de correspondant à Barcelone, le reportage en radio depuis Marseille, ou encore l’édition numérique dans diverses rédactions parisiennes. Freelance depuis 2015 en tant que reporter et rédacteur pour la presse magazine et digitale, il réalise différents types de sujets de société. Florian anime également des ateliers d’écriture et pratique la photographie.

 


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