L’appel de l’ANPEI pour la sauvegarde des canaux Freycinet

Consciente de la dégradation des conditions d’exploitation des opérateurs fluviaux sur le réseau Freycinet à petit gabarit, l’Association Nationale des Plaisanciers en Eaux Intérieures est à l’initiative du collectif* qui a décidé d’interpeller députés, sénateurs et présidents de région sur le sujet. Leur objectif : démontrer tout l’intérêt de ce réseau et demander son maintien pour des raisons tant économiques qu’écologiques. Entretien avec Anne Ackermans, présidente de l’ANPEI. 

 Sur le canal de la Marne, entre Donjeux et Chaumont © ANPEI
Sur le canal de la Marne, entre Donjeux et Chaumont © ANPEI

Pourquoi avez-vous décidé d’alerter les pouvoirs publics sur l’état actuel de la majorité des voies navigables Freycinet et petit gabarit qui serait très dégradé ? 

Tout simplement car il y a un manque d’entretiens depuis plusieurs décennies. L’envasement entraîne une plus grande érosion des berges, dont la matière se retrouve au fond du canal, pour une accentuation du phénomène d’envasement. Avec le manque d’enfoncement, les conditions de navigation empirent pour les péniches de fret, les péniches-hôtels et les gros bateaux de plaisance. Leur trafic diminue de plus en plus. Sans leur passage, l’eau n’est plus troublée, les plantes aquatiques invasives bénéficient d’une grande luminosité et prolifèrent de manière anarchique, ralentissant le flux de l’eau et augmentant encore l’envasement. La loi sur l’Eau, en transposant de manière extrême les directives européennes sur l’eau en France, conduit la plupart du temps VNF à renoncer au dragage compte tenu de la complexité et du coût des travaux induits.

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Faites-vous le même constat concernant les ouvrages ? 

Oui, certains ouvrages d’art fonctionnent encore aujourd’hui, mais sont en mauvais état. Les écluses et ponts-canaux fuient. Les berges s’effondrent un peu partout. La navigation y est de plus en plus souvent interrompue, et de plus en plus souvent, pour de longues périodes. Dans le temps, nous avions un éclusier à chaque écluse. Alors ce n’est pas ce que l’on demande. Mais il y a un minimum d’entretien à réaliser. On sait très bien qu’une racine qui s’enquille entre deux pierres va démolir petit à petit un mur. Il ne s’agit pas d’un entretien lourd mais régulier. Ce qu’on leur reproche, c’est qu’ils sont en train de tout automatiser sur des canaux sur lesquels on ne sait même pas si l’on pourra encore naviguer. A quoi ça sert ? Avant de perfectionner les ouvrages par de l’automatisation, le plus urgent selon nous reste l’entretien des voies navigables. 

« Le gabarit Freycinet est le seul qui permet de relier les différents bassins du Rhône, de la Seine, du Rhin, de l’Escaut. »
 

Quels sont les atouts des gabarits Freycinet ? 

Tout d’abord, canal et bateau Freycinet forment un couple indissociable qu’il faut absolument préserver, sous peine de grands déboires. Le gabarit Freycinet est le seul qui permet de relier les différents bassins du Rhône, de la Seine, du Rhin, de l’Escaut. Un bateau de type Freycinet transporte silencieusement, génère beaucoup moins de pollution, réalise autant de fret que dix semi-remorques, avec une accidentologie quasi nulle. On oppose souvent la lenteur du transport fluvial à la vitesse du camion. Mais c’est la fiabilité du temps de parcours qui compte pour le transport de marchandises non périssables. Sur un réseau en bon état, les bateaux sont imbattables de ce point de vue. C’est alors le bateau qui devient le plus rentable économiquement et surtout le plus respectueux sur le plan environnemental. On nous parle de combat contre les émissions de gaz à effet de serre comme une cause majeure. La navigation redevient donc une alternative pour le fret. Si l’ambition c’est de remettre du fret fluvial sur tous les canaux avec des bateaux propres nouvelle génération, alors il faut aussi penser à ne pas laisser pourrir nos voies navigables. Maintenir le fret, c'est s'engager dans une politique de mobilité durable qui garantira un maillage territorial autour de la voie d’eau. 

Pourtant, de plus en plus de territoires et d’acteurs locaux se montrent sensibles aux atouts du fluvial, notamment dans le secteur du tourisme vert. N’est-ce pas bon signe ? 

C’est certain que le transport de passagers, la location de bateaux, les péniche-hôtels et la navigation de plaisance jouent un rôle économique important dans des régions éloignées des grands centres urbanisés. Les voies navigables offrent une magnifique vitrine de la France et de son art de vivre. Dans ce maillage des canaux et des rivières, on retrouve aussi les activités nautiques, le cyclotourisme, la randonnée pédestre mais aussi la pêche. Mais au vu du dernier contrat d’objectifs et de performance pour les 10 prochaines années, on ressent une volonté de l’État de réduire la dépense publique. Alors les péniche-hôtels, on peut oublier, croyez-moi. On va avoir de la gestion hydraulique et de petites occupations très localisées comme du kayak. Vous n’allez quand même pas faire du paddle dans un champ d’algues. Si on n'entretient pas, on court à la catastrophe. La pérennité des canaux, et plus particulièrement ceux au gabarit Freycinet, dit petit gabarit, ne pourra se poursuivre que si nous avons des péniches qui passent régulièrement sur tous ces itinéraires. Pour notre association, fret et tourisme sont liés. L'un ne peut pas aller sans l'autre. Le fret peut éventuellement se passer du tourisme mais sûrement pas l'inverse. Voilà pourquoi, même en tant que plaisanciers, nous sommes très favorables à une reprise de toutes navigations sur toutes les voies navigables françaises. 

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« Se battre pour maintenir et régénérer toutes les liaisons nord-sud et est-ouest », c’est-à-dire ? 

Ce ne sont pas nos petits bateaux de plaisance qui vont entretenir l'enfoncement de manière naturelle sur les canaux. Il n'y a que les commerces chargés type péniche Freycinet, qui puissent le faire et éventuellement les péniches-hôtel. Nous avons pu constater par exemple la différence sur le canal de Bourgogne et sur la première partie du canal du Centre. Depuis la multiplication de ces péniches, la navigation est devenue plus facile pour nous, les plaisanciers. Le fait de multiplier les passages réguliers sur les canaux engendrera un développement des services le long de ces axes. Ce n’est pas pour rien que nos ancêtres s’installaient le long de ces voies d’eau. Il faut donc continuer à se battre pour maintenir et régénérer toutes les liaisons nord-sud et est-ouest sur plusieurs itinéraires de manière à maintenir ces liaisons ouvertes le plus longtemps possible tout au long de l'année. 

Sur le canal des Vosges, entre Nancy et Richardménil © ANPEI
Sur le canal des Vosges, entre Nancy et Richardménil © ANPEI

Que demandez-vous concrètement ? 

Que chaque kilomètre de canal ou de rivière canalisée soit dragué et entretenu, comme en Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne. Nous demandons qu’une attention particulière soit accordée au transport de marchandises sur le réseau Freycinet et sur tous les canaux plus petits où cela est possible. Cette régénération est possible, bien moins coûteuse et plus pérenne que celle des routes démolies par le nombre grandissant de camions. Nous demandons également une modification de la loi sur l’eau afin de sortir les canaux de cette contrainte pour faciliter les chantiers de dragage sur tous les canaux. Pourquoi ne pas réutiliser en direct tous les sédiments assimilés à de l’inerte en renfort de berges ?

Avez-vous obtenu des premières réponses à la suite de vos différents courriers envoyés ? 

Suite au Contrat d’Objectifs et de Performance signé en avril 2021 entre VNF et le ministère de la Transition Ecologique, une présentation a eu lieu à Dijon au début du mois de février. Selon les retours que nous avons eu, ça semble mal engagé. Nous craignons que soient abandonnées les voies navigables de gabarit Freycinet pour concentrer le budget sur d’autres, en oubliant les liaisons entre les différents bassins qui sont pour nous essentielles. Nous allons continuer à nous battre pour nous faire entendre. Nous nous apprêtons à solliciter et sensibiliser les candidats à l’élection présidentielle sur ces enjeux. 

* Le collectif qui soutient l’initiative : l’ANPEI, les Amis du Canal du Nivernais, Agir pour le fluvial, l’Entente des Canaux du Centre France, Fayolle Marine et Plaisance, Inland Waterways International, H2O, CroisiEurope, les Canalous, UPCM, Yacht Club Paris Bastille, Blanquart Yachting, Promofluvia, ADHF-F, Nicols, Canal Cruises, Locaboat, Europe Boat, DBA-The Barge Association, APPIF et Entreprises fluviales de France.

Auteur : Florian Dacheux 

A propos de l'auteur

Trentenaire basé en banlieue parisienne, Florian navigue dans le monde des médias depuis 2005. Des bases du métier appris en presse quotidienne régionale à Avignon, il a connu une expérience de correspondant à Barcelone, le reportage en radio depuis Marseille, ou encore l’édition numérique dans diverses rédactions parisiennes. Freelance depuis 2015 en tant que reporter et rédacteur pour la presse magazine et digitale, il réalise différents types de sujets de société. Florian anime également des ateliers d’écriture et pratique la photographie.

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