Les trois expositions du moment à Strasbourg

Vous êtes plutôt lanceur de frisbee, amoureux de beaux dessins sombres ou curieux de l’histoire franco-allemande ? Soyez tout cela grâce à trois expositions, de Strasbourg à Erstein. 

La beauté des gestes chez Würth : « Frisbee » 

« Je ne peux te donner une idée du plaisir que tu aurais, assis au milieu des spectateurs, à voir la bravoure des athlètes, la beauté de leur corps, leurs poses admirables, leur souplesse merveilleuse, leur force infatigable, leurs efforts incessants pour la victoire », écrit Lucien de Samosate au IIIe siècle. Aux XXe et XXIe siècles, les artistes posent des regards plus acérés sur les corps des athlètes : ironie, choc, critique, distorsion. Démonstration lors de cette exposition sur le sport et les loisirs au musée Würth. 

Un collage signé Tomi Ungerer de 2004 présente M. Muscle : il est fier de ses biceps, mais de cerveau, il n’a point. La photographie des deux artistes américains Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, aux physiques fluets, posant en gants de boxe, est tout aussi décalée. Fascinée par la vitesse à laquelle la vie peut basculer, la plasticienne Jan Nelson signe une œuvre en fibre de verre hyperréaliste d’un cycliste effondré au sol après une chute.

 

L’impossible lancer de frisbee 

L’exposition doit son titre à la peinture de Donna Stolz (2007) : un personnage lance un frisbee sur fond orange : c’est très esthétique mais rien ne colle. Le geste rend impossible le lancer du frisbee, la jupe semble être celle d’un homme...La gestuelle du discobole antique, plâtre d’une copie romaine de statue grecque, qui lui tient compagnie, est bien plus réaliste. Ensemble, ces deux œuvres dégagent une harmonie rare.

L’étage du musée est consacré au grand air, à la société des loisirs. On s’y délecte de toiles classiques ou contemporaines, interprétations des sorties en montagne, de la baignade et du camping (dont une photo en trompe l’œil de l’artiste allemand Martin Liebscher, à l’unique personnage reproduit à l’infini). Comme sur un stade, la performance est ici impressionnante. 

« Frisbee, sports et loisirs », au musée Würth à Erstein (gratuit)

  • Jusqu’au 15 septembre
  • Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h (17 h semaine)
  • Visites guidées les dimanches à 14 h 30. 

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Les prémices d’une guerre aux Archives : « L’occupation de la Ruhr, 1923 » 

Méconnue en France, l’occupation de la Ruhr, région traditionnellement industrielle de l’Allemagne, par la France et la Belgique à partir de 1923, est pourtant fondamentale pour la suite de l’Histoire. Elle a largement nourri le ressentiment des Allemands contre la France, cristallisé par le nazisme. Il faut dire que l’épisode est assez paradoxal : les politiciens français répétaient qu’ils ne voulaient que la paix après la Première Guerre mondiale.

Pourtant, les militaires ont envahi et occupé la Ruhr, et transféré les machines de ses usines en France. Comment en est-on arrivé à ce point d’incompréhension réciproque entre Français et Allemands ? 

 

Boom économique en Allemagne 

C’est à cette question que répond l’exposition conçue par le Musée de la Ruhr d’Essen et l’Institut d’histoire de Recklinghausen, présentée aux Archives d’Alsace. Alors que l’Allemagne n’avait quasiment pas été touchée sur son sol pendant la guerre, le territoire français avait beaucoup souffert de destructions et de dépeçages. Ce que les Allemands ignoraient. D’où leur incompréhension face aux réparations si importantes qu’ils avaient à payer comme cela avait été fixé par le traité de Versailles. 

Alors que la France peine à se remettre de la guerre, l’Allemagne connaît un boom économique de 1919 à 1921 : cela inquiète les Français… 

Sur fond de discours hypocrites de politiciens des deux côtés de la frontière, la tension monte. Et en janvier 1923, la France occupe la Ruhr, dont elle se retire à l’été 1925. En échange d’un bilan économique médiocre, la France laisse cette image de voleuse aux Allemands. 

Les textes sont faciles à lire, les affiches de propagande font mouche, la balle de 8 mm d’un fusil français ayant tué un Allemand de 19 ans pendant le couvre-feu est consternante. 

« Ruhrbesetzung 1923 : la France occupe le cœur industriel du Reich », aux Archives d’Alsace (entrée libre)

  • 6 rue Philippe Dollinger à Strasbourg
  • Jusqu’au 5 avril
  • Du mardi au vendredi de 8 h 30 à 17 h et le dimanche de 14 h à 17 h.

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« Juste à temps », chez Tomi Ungerer 

L’année de sa mort, en 2019, l’artiste Tomi Ungerer publie l’album Juste à temps. Beaucoup de gris et de noirs, parfois un peu de bleu et de rose dans ce livre illustré. Dix-huit dessins originaux et préparatoires de ce livre sont exposés au musée Tomi Ungerer. Dans cet ouvrage, l’humanité s’est enfuie sur la Lune, et sur Terre, tout est hostile, froid, rectiligne. Dans des rues désertes, Vasco, le personnage, suit son ombre qui le dépasse souvent. Il porte contre lui un nourrisson, vert comme un Alien, qu’il doit sauver. 

Cet ouvrage incarne-t-il l’angoisse de la fin de vie qu’a pu ressentir l’artiste ? Peut-être. Mais plonger au sous-sol du musée donne à découvrir les planches d’un autre album, Slow agony, publié en 1983. 

 

Récolte de têtes de mort 

Tomi Ungerer y dépeint déjà la lente décadence d’une civilisation. Ces œuvres ont été réalisées alors qu’il vivait en Nouvelle Ecosse : carcasses de véhicules abandonnés dans la nature, maisons et commerces oubliés loin des hommes, paysages de fils électriques coupés... 

Et pour se convaincre que ce génial illustrateur hautement caustique tirait déjà une sonnette d’alarme sur l’état de la nature et de la société, il faut monter à l’étage et découvrir des dessins publicitaires des années 1960 et 1980. L’un parodie une récolte luxuriante de choux en forme de têtes de mort, dans un champ à l’ombre d’une usine polluante. Un autre présente un triste oiseau noir perché sur une antenne de télévision à côté d’une cheminée : il doit porter un masque à gaz. 

Tomi Ungerer mêle à merveille le pessimisme, la critique et la poésie pour faire mouche. 

« Juste à temps », au musée Tomi Ungerer

  • 2 avenue de la Marseillaise à Strasbourg
  • Jusqu’au 7 avril, du mardi au vendredi de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h, samedi et dimanches de 10 h à 18 h. 

Auteure : Lucie Michel