Nom d’un chien, une grenouille de bénitier et des rats de bibliothèque au musée !

Des animaux du monde entier ont envahi tous les espaces et collections du musée des arts décoratifs au palais Rohan à Strasbourg. Un zoo en intérieur… 

Le lion planté au milieu de la chambre du roi semble sortir tout droit du lit à baldaquin et un faucon darde le visiteur de son œil noir et froid sur la console de la salle à manger du Palais des Rohan...Il ne faudrait pas bouder ce plaisir de découvrir un zoo si inattendu et si sophistiqué...d’animaux naturalisés issus des collections du musée zoologique de Strasbourg. Fermée pour travaux jusqu’en 2024, l’institution a prêté quelques-unes de ses pièces au musée des Arts décoratifs, dont le nouveau conservateur, Louis-Napoléon Panel a imaginé ce parcours insolite et terriblement séduisant. 

Comme chez Louis XIV 

Passé la première surprise d’être face à un éclatant ara rouge (un perroquet d’Amérique centrale) et à une fière grue couronnée d’Afrique saharienne dialoguant avec un petit lion de Fo (lion gardien en Asie) dans la salle des gardes du palais, on se prête au jeu de chercher à comprendre : pourquoi se sont perchés ces animaux là où on ne les attend pas ? 

Ici, la réponse est simple : il suffit de lever les yeux pour contempler un tableau grand format peint par Jean-Baptiste Oudry en 1742 et comprendre que les deux oiseaux s’en sont échappés. Peintre animalier du XVIIIe qui avait le privilège d’être invité à participer aux chasses du roi Louis XV, l’artiste signe ici une scène de chasse à courre à la française très classique dans laquelle figurent, incongrus, une grue couronnée et un ara. 
Où donc l’artiste aurait-il pu voir des oiseaux si exotiques pour les peindre avec tant de précision ?  Au zoo, naturellement ! Enfin, son ancêtre. A la fin du XVIIe siècle, Louis XIV possédait une ménagerie à Versailles qui abritait cigognes, grues, oiseaux d’Afrique, colibris, flamands roses, griffons, gazelles, lions, éléphants, crocodiles...Savants et artistes étaient invités à venir les étudier. 

 

Pas de verres sur la table du repas 

La chasse étant un passe-temps des plus importants pour les oisifs du XVIIIe s. (Louis XV s’y adonnait plusieurs fois par semaine, dit-on), elle était largement représentée dans la décoration des palais : sur les tapisseries, les objets, les peintures et même dans l’architecture intérieure. On en trouve ainsi l’évocation sur les piliers qui séparent la salle des gardes de la partie salle à manger du palais Rohan : de nombreux animaux et poissons de la région y sont sculptés et peints sur le stuc. 

Puisque salle à manger il y avait, on découvre l’art de manger en compagnie de ses invités au XVIIIe, lesquels n’avaient pas de verres posés à côté de leur assiette sur la table. Quand un convive avait soif, il se levait de table et se dirigeait vers la console de marbre et les vasques destinées à rafraîchir les verres, au fond de la salle : là, il vidait un verre et, seulement ensuite, s’en retournait à table. 
Sur la console, voisinent le squelette d’une carpe du Rhin mangée depuis longtemps et un faucon dressé pour la chasse. Un animal très proche de nous, puisqu’il niche fréquemment sur la cathédrale de Strasbourg ou sur la tour de chimie. Mais qui peut s’éloigner à une vitesse de plus de 350 km/h.

La fourrure des puissants 

Dans la salle des évêques, qui faisait office de chambre de jeux, un aigle royal posé sur une table, l’un des plus grands du monde, déploie ses ailes sur deux mètres dans ce décor mâtiné de porcelaines chinoises et de meubles XVIIIe siècle. Mais l’aigle, si on le cherche bien, est présent en plusieurs autres endroits du décor de cette pièce. 
Dans la cheminée, des hermines montrent comment leur pelage change de couleur avec les saisons, pour mieux se fondre dans la nature. Ce petit animal est associé au pouvoir, tant sa fourrure est liée aux dignitaires : on la trouve sur le costume de sacre des rois, la robe des évêques et des magistrats. 

Là où il penserait trouver du calme, dans la chambre à coucher du roi, le visiteur se retrouve face aux vibrations d’un fier lion de l’Atlas à la crinière rousse, comme sorti du baldaquin tendu de tissu pourpre : roi des animaux, symbole solaire par excellence du pouvoir. 
La nuit est représentée, elle aussi, dans plusieurs détails de cette pièce à dormir. D’ailleurs, une chauve-souris, petite roussette d’Égypte - animal nocturne - se fond dans le décor baroque de la cheminée. 
Et des deux animaux, le plus puissant n’est pas celui qu’on croit : si le petit animal nocturne et frugivore existe toujours, le fier lion de l’Atlas est aujourd’hui une espèce disparue. Ce parcours animal offre ainsi un temps de réflexion sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité…

Symbole de la nuit dans la chambre du roi
Symbole de la nuit dans la chambre du roi © M. Bertola

La grenouille de bénitier sous cloche 

Et ainsi se poursuit le parcours, parfois limpide, parfois plus abscons, mais toujours jubilatoire. Les animaux des fables de La Fontaine sont conviés devant des fauteuils tendus de tissu reproduisant ces mêmes fables. Crânes de lion, de bœuf et d’aigle dans trois des quatre coins de la bibliothèque demandent une observation attentive des tableaux d’évangélistes qui y sont associés. Alors que l’aigle royal est si imposant dans la salle des évêques, il paraît bien fluet et fragile dans sa version squelette sous l’évangéliste Jean. 

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En revanche, les petits rats dans la cheminée ou encore la grenouille rousse sous son globe dans la chapelle sont plus explicites : la grenouille de bénitier semble faire un clin d’œil aux rats de bibliothèque ! Dans l’aile des arts décoratifs, les squelettes et insectes se mêlent à qui mieux mieux aux collections d’objets et de vaisselle dans un bestiaire kitsch et plein d’humour. 

Parcours « Palais animal » au musée des arts décoratifs, Palais des Rohan à Strasbourg, tous les jours sauf le mardi jusqu’au 11 juillet. Se munir du précieux carnet réalisé pour ce parcours. Un Mooc (Massiv open online cours, dont l’accès est gratuit) est consacré aux animaux qui peuplent les musées de Strasbourg (mooc-animal-musees.com). Au programme: visite du palais Rohan par le nouveau conservateur (samedi 7 mai à 14 h 30), concert du Trio Guersan sur La nature romantique (mardi 31 mai à 20 h). 

Auteure : Lucie Michel