La beauté du geste, quand l'art devient vecteur de richesses

À travers une exposition mêlant peintures et sculptures contemporaine, littérature, cinéma et ambiance sonore, le musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg revient sur 33 années d'engagement d'une poignée d'amateurs d'art strasbourgeois qui ont voulu ouvrir la région à la culture contemporaine.

Le geste, c'est d'abord celui de la main de l'artiste ; geste de savoir et geste du hasard, qui nous entraîne dans une autre dimension, la sienne, aux accents multiples. Mais c'est aussi  le geste généreux des Amis du musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg, association créée en 1988 en soutien au projet de création du musée, qui ne sera effectif que dix années plus tard. Depuis cette date, ces soutiens de la première heure ont permis, grâce à leurs dons, d'enrichir continuellement les collections d'art moderne et contemporain du MAMCS. Près de 300 œuvres ont ainsi été intégrées en une trentaine d'années. L'idée – inédite - de les exposer ensemble est née pendant le confinement, pour marquer les 30 ans d'existence de l'association et remercier ses membres pour leur générosité et leur engagement. L'occasion de valoriser l'enthousiasme de ces amateurs éclairés, et le regard ouvert et diversifié qu'ils portent sur l'art.

Christopher Payne, Unclaimed Cremation Urns, Oregon State Hospital, 2009. Crédit Musées de la ville de Strasbourg
Christopher Payne, Unclaimed Cremation Urns, Oregon State Hospital, 2009 - © Musées de la ville de Strasbourg

6 ambiances différentes pour une lecture originale des œuvres

Un quart des œuvres ainsi acquises est présenté au public, représentatif de leur diversité. Le résultat, ce sont 6 salles de couleurs et d'ambiances différentes, espaces de sensations variées où le commissaire de l'exposition, Thierry Laps, assistant scientifique du MAMCS, s'est attaché à faire se rencontrer des œuvres qui n'ont pour certaines jamais été mises en regard les unes des autres. Chacune d'entre elles associe en plus un ouvrage littéraire, une œuvre cinématographique et un extrait musical. « Je n'ai pas voulu donner une vision passive des œuvres, pour montrer au contraire les différentes expériences qui partent d'elles. Et plutôt que de réfléchir pendant des années pour savoir comment les associer, je me suis basé sur une présentation intuitive, en prenant la liberté de poser les œuvres les unes à côté des autres pour voir comment elles communiquent ensemble. Quitte, parfois, à pousser les murs pour pouvoir placer tout le monde », explique-t-il.

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Caché, enragé ou militant : l'utilité sociale de l'art

Cela commence par une première pièce tout en jaune, fermée par de grands rideaux de dais, comme pour cacher un cabinet de curiosités. L'ouvrage cité, « La vie dans les plis », de Henri Michaux, fait référence au réel qui se cache parfois dans l'abstrait, avec pour illustration des gravures de Pierre Alechinsky ainsi qu'une sculpture compacte de César.

La deuxième salle affiche le rouge bordeaux de la rage, celle des artistes expressionnistes allemands du début du XXe siècle. Il y a une quinzaine d'années, l'aide des AMAMCS a été indispensable pour compléter la collection de gravures allemandes du musée, qui s'arrêtait à 1918, et mieux faire comprendre la normalisation de ce mouvement intervenue sous le régime nazi. Thierry Laps associe ces œuvres au livre « La rage de l'expression » et les fait dialoguer avec des peintures plus récentes de Bernard Dufour et Damien Deroubaix.

Tout de gris vêtue, la 3e salle rend hommage à l'ouvrage « Fureur et mystère » du résistant René Char et, plus généralement, au combat mené par des artistes tel John Heartfield qui, grâce à ses photomontages, a dénoncé avant guerre la montée du nazisme. La collection du MAMCS dormait dans un grenier strasbourgeois, jusqu'à ce qu'une exposition sur le sujet éveille l'attention du propriétaire. Elle est logiquement mise en regard avec le film « Metropolis », de Fritz Lang.

Du désir à la vanité

Gérard Deschamps, Martha’s Vineyard, 1970. Crédit Musées de la ville de Strasbourg
Gérard Deschamps, Martha’s Vineyard, 1970 - © Musées de la ville de Strasbourg

La 4e salle de l'exposition évoque l'art comme un lien de passage entre plusieurs monde. Un patchwork de Gérard Deschamps dialogue avec le célèbre diptyque Le Silence, de Camille Claus, et les monotypes d'Annie Greiner, dans une ambiance de désert blanc. S'en suit une atmosphère plus intimiste avec une 5e salle consacrée aux gravures évanescentes de Max Klinger, dont le MAMCS possède depuis 2012 une collection complète, grâce à l'action des Amis du musée. Parmi ces acquisitions, celles consacrées aux œuvres de Brahms mettent particulièrement en valeur le romantisme de l'artiste, renforcé par la référence aux « Ailes du désir » de Wim Wenders et aux ombres errantes de Pascal Quignard.

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L'exposition s'achève sur la série de gravures de Markus Lüpertz « Vanitas », associée aux ouvrages « Les voix du silence » d'André Malraux, comme pour mieux confronter l'artiste, mais aussi le visiteur, à son destin. Parce qu'en art comme dans la vie, la transmission est plus forte que la mort.

« La Beauté du geste », au Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg. Exposition visible tous les jours (sauf le lundi) jusqu'au 9 janvier 2022.

Visites guidées : Découvrir l'exposition, 14 novembre 2021 et le 9 janvier 2022, 14h30.
Projections : « Les Ailes du Désir », de Wim Wenders, le 10 novembre, 18h30 - « Mort à Venise », de Luchino Visconti, le 24 novembre, 18h30 – Auditorium des musées.
Concert autour de Brahms, le 4 décembre, 15h30, Auditorium des musées.
https://www.musees.strasbourg.eu/la-beauté-du-geste


AMAMCS : 33 ans de recherches et d'acquisitions

L'Association du musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg a été fondée en 1988 autour d'un combat : celui de la création d'un musée d'art contemporain à Strasbourg. Peu d'élus municipaux défendent alors le projet. L'AMAMCS organise des voyages dans d'autres musées d'art moderne et fait venir conservateurs et historiens de l'art à Strasbourg, pour montrer tout l'intérêt d'exposer certaines œuvres dormant dans les réserves. Un travail qui paie doublement puisqu'à l'ouverture du MAMCS, dix ans plus tard, l'association compte 250 membres (contre 7 au départ). Ils sont aujourd'hui 305, tous bénévoles.

La première acquisition d'une oeuvre d'art, auprès d'un réfugié yougoslave, aura quasiment été le fruit du hasard. C'est devenu l'activité essentielle de l'association, qui organise voyages et parfois dîners pour alimenter un budget annuel de 35 000 €. Mais acheter une peinture ou une gravure trouvant sa place au MAMCS nécessite une veille minutieuse et avisée du marché de l'art, ainsi qu'une discrétion à toute épreuve, pour éviter qu'un effet de mode ne rende certaines œuvres financièrement inaccessibles. « On n'achète pas des œuvres simplement parce qu'elles nous plaisent, mais parce qu'elles ont un intérêt pour le MAMCS, qui reste l'arbitre final, voir l'ordonnateur », explique Pierre Fickinger, président de l'association. L'intérêt du musée est de pouvoir compter sur la réactivité de l'association, là où l'établissement public a de lourdes procédures à respecter en matière d'acquisition. L'association intervient ainsi en son nom propre, quelquefois en complément de mécènes, pour ensuite faire don des œuvres au musée. Elle aimerait aujourd'hui s'ouvrir à de nouveaux membres. Sa dernière bataille : développer la gratuité des musées et notamment du MAMCS, pour inciter à une fréquentation plus régulière des lieux de culture.
http://www.amamcs.net

 

Auteure : Nathalie Stey

A propos de l'auteure

Journaliste indépendante amoureuse de l'Alsace, Nathalie Stey a animé pendant 20 ans une revue professionnelle consacrée au transport fluvial et basée à Strasbourg. Elle a depuis élargi son spectre et assure aujourd'hui la correspondance en région pour le journal Le Monde et Le Mensuel éco Grand Est, tout en restant fidèle au secteur de la voie d'eau qu'elle s'attache à faire découvrir.