Les oiseaux – L'opéra qui vous donne des ailes

Qui n'a jamais rêvé, en entendant le doux chant des oiseaux, de s'envoler comme eux dans les airs, jusqu'à toucher le ciel ? De s'affranchir des désirs et des contraintes de nos vies d'hommes, pour simplement ressentir « le pouls du vivant » et notre appartenance au monde ? C'est ce voyage ô combien attirant que nous propose l'Opéra national du Rhin à compter du mercredi 19 janvier, au travers de l'opéra « Les Oiseaux » du compositeur allemand Walter Braunfels (1882-1954), inspiré de la comédie d'Aristophane. 

Répétition de Marie-Eve Munger
© OnR

Une fable grecque contre la morosité de la vie politique 

Cette dernière se veut une critique de la vie politique dans la cité athénienne, faite de discours, de manigances, de postures et de corruption. Lassés du cynisme et de la morosité de leur quotidien, deux amis - Fidèlami et Bonespoir - quittent la ville pour la montagne et la forêt, à la recherche du royaume des oiseaux où ils espèrent vivre, légers, loin des déconvenues amoureuses ou professionnelles. Mais les volatiles voient arriver ces hommes avec méfiance. Notre habitat ne nous appartient pas, disent-ils, nous n'en sommes qu'un des éléments. Pour les amadouer, Fidèlami les complimente. Il les incite à bâtir une ville idéale dans le ciel, passage obligé du monde des dieux à celui des hommes, qui leur permettra de soumettre tant les uns que les autres. Une forteresse faite de brindilles et de branchages, que Zeus, dieu des dieux, aura tôt fait de souffler... De cette utopie ainsi dispersée, reste une nostalgie ; le sentiment, aussi, d'avoir, ne serait-ce qu'un instant, goûté à la plénitude de la vie, loin des projections et des stratégies. « Ich hab' gelebt ! » - « J'ai vécu ! », s'exclame Bonespoir, en conclusion de cette fable qui, plus de deux millénaires après sa création (-414 avant J.C.), ne semble pas avoir pris une ride.

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L'imagination au pouvoir 

C'est dans une forêt moderne que le metteur en scène américain Ted Huffmann choisi en effet de nous emmener : un plateau de bureaux en open space, gris et impersonnels, symboles d'une société bureaucratique et déshumanisée à laquelle les deux amis veulent échapper. Le contraste avec la musique légère de W. Braunfels n'en est que plus frappant. La ligne mélodique exubérante et chatoyante du Rossignol, chantée par la jeune soprano canadienne Marie-Ève Munger, coule comme un ruisseau de montagne. Est-ce un rêve, ou la réalité ? L’imagination est le seul moyen d’échapper au monde froid et mécanique de cette entreprise anonyme. À travers ses notes, les accessoires les plus banals se transforment en objets précieux. Et peu à peu, les tristes bureaux accueillent un joyeux tapage, où l'on se cache quand vient le chef, où l'on sautille de meuble en meuble pour donner libre court à son ramage, où l'on piaille pour manifester son désaccord, où toutes les voix ne forment plus qu'une quand vient le temps de l'harmonie... 

« Les oiseaux » sont une ode à la nature bien sûr, à sa beauté, à sa simplicité aussi. « Nous en sommes tous des éléments, alors arrêtons de vouloir tout maîtriser ! Arrêtons de courir après la réussite et profitons de l'instant ! », semble nous glisser à l'oreille la douce musique de W. Braunfels. La mélancolie n'est jamais bien loin pourtant, tant l'oeuvre oscille entre songe et réalité, entre vertige des sens et nécessité de se poser et d'agir. Le spectateur, lui, n'a pas envie de se réveiller. La chimère de la société idéale est tenace et laisse en mémoire la trace d'une plénitude perdue. Mais n'est-ce pas là le propre des utopies ?

Une musique censurée 

L'opéra « Les oiseaux » a une histoire singulière puisque son compositeur, Walter Braunfels, fait partie de cette génération sacrifiée d'artistes allemands mis au ban par le régime nazi pour avoir créé une musique « dégénérée ». Contraints, dès 1933, à démissionner de leurs postes parce que d'origine juive ou prônant une musique considérée comme « gauchiste » ou « nègre » (c'est notamment le cas du jazz), par opposition à la « pureté » supposée de la musique allemande, ces artistes sont alors réduits au silence. Certains s'exilent aux Etats-Unis, où ils poursuivront leur carrière à Hollywood ou Broadway. D'autres ont moins de chance et meurent dans les camps de concentration. Le fondateur du Conservatoire de Cologne, considéré comme « demi-juif », fait quant à lui le choix de se retirer au bord du lac de Constance. Il reprendra son poste après la guerre et continuera de composer. Mais sa musique post-romantique, symbole du traumatisme de la Deuxième guerre mondiale, sera passée de mode. 

 

Première représentation en France 

L'opéra « Les oiseaux », écrit pendant la Première guerre mondiale, a reçu sa première interprétation au Théâtre national de Munich, le 30 novembre 1920. L'oeuvre connaît alors un succès immédiat outre-Rhin, avant de tomber sous le coup de la censure et de l'oubli. Ce n'est qu'à partir des années 1990 qu'elle sera redécouverte dans son pays d'origine. La production de l'Opéra national du Rhin marque la création française de l'oeuvre, qui n'avait jusqu'ici jamais trouvé sa place sur une scène de l'Hexagone. C'est aussi une entrée en matière pour le jeune chef Aziz Shokhakimov, qui dirige ainsi sa première production lyrique à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Les scènes solistes très développées de la partition sont par ailleurs l’occasion de découvrir de nombreux chanteurs faisant leurs débuts à l’Opéra national du Rhin : Marie-Ève Munger (soprane ; le Rossignol), Tuomas Katajala (ténor ; Bonespoir), Cody Quattlebaum (baryton, Fidèlami), Josef Wagner (baryton ; Prométhée), Christoph Pohl (baryton ; la Huppe), Julie Goussot (soprane ; le Roitelet) et Antoin Herrera-López Kessel (baryton ; l’Aigle).

Les Oiseaux – Die Vögel 


Opéra en deux actes de Walter Braunfels, adapté librement de la comédie d’Aristophane « Les Oiseaux ». Création française de l'Opéra national du Rhin.

Direction musicale : Aziz Shokhakimov (Sora Elisabeth Lee pour les représentations à Mulhouse). Mise en scène : Ted Huffman.

  • Représentations à Strasbourg le samedi 22 janvier, 20h00 ; le mardi 25 janvier, 20h00, le jeudi 27 janvier, 20h00, le dimanche 30 janvier, 15h00.
  • Représentations à Mulhouse (scène de La Filature) le dimanche 20 février, 15h00 et le mardi 22 février, 20h00.

Réservation et billeterie :

prenez votre place

À voir en direct sur Arte le 27 janvier et en replay (https://www.arte.tv/concert)
Diffusion sur France Musique le 19 février, 20h00, dans l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.

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Le Teaser « Envolez-vous avec les oiseaux »

La bande annonce « Des ailes pour s'envoler »

Auteure : Nathalie Stey 

A propos de l'auteure

Journaliste indépendante amoureuse de l'Alsace, Nathalie Stey a animé pendant 20 ans une revue professionnelle consacrée au transport fluvial et basée à Strasbourg. Elle a depuis élargi son spectre et assure aujourd'hui la correspondance en région pour le journal Le Monde et Le Mensuel éco Grand Est, tout en restant fidèle au secteur de la voie d'eau qu'elle s'attache à faire découvrir.