De Hans à Jean Arp, le poète

Peintre, sculpteur ou poète ? Né à Strasbourg, l’artiste Jean Arp est tout cela à la fois. Suivez le guide pour découvrir son œuvre plastique à la lecture de ses poèmes.

Comment naît-on dans un nuage ?

Il faut s’appeler Arp, Hans. « Je suis né dans la nature, je suis né dans un nuage », écrit le poète Hans Arp, né en 1886 à l’ombre de la Cathédrale de Strasbourg, alors allemande. Une cathédrale qui l’inspire. « La cathédrale est un cœur. Pour la même raison que nous sommes une branche d’étoile, que le ciel est en danger de mort. La cathédrale est un cœur, la tour est un bourgeon. Elle tourne, elle pousse autour d’elle. La cathédrale de Strasbourg est une hirondelle… » Il faut lever le nez pour en savoir un peu sur cet artiste complet : une plaque sur sa maison natale, une bâtisse à oriel du 16e s, au 52 de la rue du Vieux marché aux poissons indique que « Dans cette maison est né Hans Arp, poète, sculpteur, peintre 1886-1966 ». Ce dont l’enfant se souvient ici ? La naissance de son jeune frère, qui l’a plongé « dans la consternation », écrit-il. Et ses premiers dessins, alors qu’il n’avait pas huit ans. 

[LIRE AUSSI >>Strasbourg et ses amours]

Poète et cancre, ce serait possible ?

Mais oui. Le jeune Hans n’est pas bon élève et l’école vire au cauchemar. Seul cours où il brille : celui de religion, où il réécrit et décore les textes religieux. Et par chance, cela plaît à son professeur. Toujours laborieux, il écrit avoir appris plus tard, « péniblement », le travail de la sculpture. Quand ses parents quittent Strasbourg pour emménager dans une maison à Grendelbruch, non loin de Schirmeck, il découvre la nature, la vraie, et plus seulement celle qu’il avait appréciée dans l’ornementation florale et symbolique des quelques immeubles Art nouveau que compte alors Strasbourg. Mais un nouveau déracinement se profile…

Hans Arp
Hans Arp © Guide Artistique

La nature jetée aux orties.

Suite à un changement dans la vie professionnelle du père de Hans Arp, qui dirigeait une usine de tabac, la famille s’installe en Suisse, près de Lucerne. Hans Arp a alors 22 ans. C’est le début d’une nouvelle ère pour lui, grâce à la rencontre de nombreux artistes en Suisse. « Tous les problèmes de l’art m’intéressaient. Dans ma solitude, j’ai cherché mes propres moyens d’expression. » Et à partir de 1910, il s’éprend d’art abstrait. Afin de tourner une page de son art pour en écrire une nouvelle, il détruit tous ses dessins et poèmes de jeunesse qui évoquaient la nature. 

Picasso, Adam et Eve.

Sa rencontre avec le peintre Vassily Kandinsky est décisive. Celle avec Pablo Picasso, à Paris, également. Alors que commence la Première Guerre mondiale, il se fait réformer – il est Allemand- pour aliénation. Il est bien trop enthousiasmé par l’œuvre des constructivistes qu’il découvre. De Picasso, il écrit, prophétique : « Picasso, pour moi, est aussi important qu’Adam et Eve, qu’une source, un arbre, un conte de fées, une étoile, un rocher…Et il restera aussi vieux qu’Adam et Eve. » Rencontre tout aussi déterminante : celle de la danseuse, sculptrice et professeur d’art textile Sophie Taeuber à Zurich. Il écrit d’elle qu’elle est la figure la plus gracieuse, la plus sereine. « Elle parlait aux fleurs en même temps qu’elle parlait aux étoiles. » Les deux se marient en 1922. 

Les citrons empressés.

En 1916, Hans Arp fonde le mouvement Dada avec Tristan Tzara à Zurich. Dans ce mouvement, pas d’ego, on crée à plusieurs mains, on laisse l’élan élémentaire et spontané agir. Hans Arp veut rompre avec les courants artistiques en « ismes » et bousculer un peu l’ordre bien établi. Et il s’en explique dans un courrier : « Dada est pour le sens, pour la nature et contre l’art. Il est direct comme la nature, il cherche à donner à chaque chose sa place essentielle. » Lettre signée : « Avec mes citrons empressés ». Et d’ailleurs, il l’avoue, dada est un mot sans importance : il a été tiré au sort dans le dictionnaire. 

[LIRE AUSSI >> Gustave Doré, l’étoile de Strasbourg]

 

Du jus de tortue au menu.

En 1926, alors que le couple d’artistes est à Strasbourg, commande est passée à Sophie Taeuber-Arp d’aménager un espace de loisirs en neuf espaces dans l’aile droite du bâtiment de l’Aubette, sur la place Kléber. Celle-ci s’associe sur ce projet à Hans Arp et à l’architecte Théo van Doesburg. On peut aujourd’hui en visiter une partie (du mercredi au samedi de 14 h à 18 h, gratuit). La décoration, tout en épure et en abstraction, joue sur les mouvements des danseurs, parallèles aux diagonales qui envahissent les lieux. Dans le ciné-dancing, la salle de réception, la salle de billard (disparue), les couleurs sourdes s’accordent en toute harmonie à d’autres plus vives. Un vrai manifeste « d’harmonie sociale générale générée par la création abstraite. » Le menu de l’une des soirées est un régal de poésie dada. Se succèdent le jus de tortue des Indes à la française, la mignardise de riz de veau dorée au four à la midinette et sauce Diable, les frivolités...

Le nombril et la mort.

Dans la salle en bas à droite du complexe de loisirs (disparue), Hans Arp signe l’élégante décoration en bleu, gris, noir. Il y reproduit sur les murs sa forme de base, une sorte de nombril évidé. Celle qu’il a si bien travaillée en sculptures graciles et en peintures graphiques. A la mort soudaine de Sophie Taeuber-Arp en 1943, suite à une intoxication au monoxyde de carbone, Hans Arp est sous le choc. Il abandonne Hans et devient Jean. Il dédie à son épouse défunte des poèmes émouvants. « Tu peignais le bouquet de lumière qui s’épanouissait sur ton cœur. » Lui-même meurt d’une crise cardiaque à Locarno à 80 ans, laissant de nombreux écrits : journal intime, poèmes, essais. 

Jean Arp a pris part à plusieurs mouvements artistiques avant-gardistes pour son œuvre plastique : cubisme, collage, frottage, dada…Mais, confessait-il, « si je devais choisir entre la peinture, la sculpture et la poésie, c’est sans hésitation que je me tournerais vers l’écriture ». 

Cette visite en lectures est l’une des visites thématiques proposées par l’Office du tourisme de Strasbourg. A suivre encore le 12 octobre. Plus d’informations sur visitstrasbourg.fr ; cliquer sur « Brochures », ouvrir « Visites guidées pour individuels 2024 ».

Lucie Michel

Rédactrice chez Batorama depuis 2020
J’aime Strasbourg pour ses restaurants de touristes, ses gargotes tibétaines et ses approximations de tartes flambées : un peu…
J’aime Strasbourg pour la diversité de ses musées: beaucoup. 
J’aime Strasbourg pour le temps inscrit dans ses architectures: passionnément! 
J’aime Strasbourg pour la vie spontanée et festive le long des quais aux beaux jours : à la folie! 
J’aime Strasbourg pour sa confrontation piétons-cyclistes: pas du tout ! Préférons donc le bateau !