L’empire de Charlemagne s’arrête à Sélestat

Figure très indépendante de l’art contemporain, Charlemagne Palestine déploie son empire de peluches en une installation totale, sur mesure pour le Frac Alsace, à Sélestat. 

Nostalgie, émerveillement, spiritualité, apaisement : les sensations les plus délicieuses s’entremêlent chez le visiteur qui s’aventure dans le nouveau monde global, kitsch et merveilleux du Frac Alsace, à Sélestat. Cet univers feutré est celui de l’artiste Charlemagne Palestine. L’artiste américain présente son « Charleworld », avec l’exposition sensorielle « Cccccharrrleeewwwworllddddd aaaaa gggessaammmtttkkkuunsttwerkkk ?????????? » (N’essayez surtout pas de le prononcer) et donne ainsi à vivre une œuvre d’art totale. « Après l’épisode du Covid et le trop plein d’habitudes numériques, j’avais envie d’une exposition artisanale. Ici, c’est le cas : Charlemagne Palestine fait tout à la main. Et puis, c’est une sorte d’anniversaire : il y a 30 ans, il exposait dans une galerie d’art à Colmar et il y a 35 ans, il était présenté à la Documenta de Kassel », explique Felizitas Diering, directrice du Frac Alsace. 

Oser l’expérience

Au-delà de ses avalanches de peluches, il y a beaucoup à vivre et à expérimenter… Collectionneur excentrique, Charlemagne Palestine est un improvisateur passionné qui crée ses expositions selon l’espace physique et sonore qui lui est donné. Pour le FRAC Alsace, il a rempli l’espace de ses multiples créations artistiques et musicales, ainsi que de son immense collection de peluches qu’il chérit depuis plus de 30 ans.
Autoproclamé « artiste total », l’artiste invite à s’immerger dans son monde, « Charleworld », né d’une accumulation d’objets et de matériaux recyclés. Il questionne la notion de « Gesamtkunstwerk », une œuvre d’art totale alliant créations visuelles et acoustiques inscrites dans un espace spécifique. Grâce à des collisions de textures, de couleurs et de sons, il réveille les sens des visiteurs. Cette expérience à vivre, entre ritualité et spiritualité, pousse aussi à la découverte de soi.

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L’artiste total

Issu d’une famille d’émigrés ukrainiens originaires d’Odessa, Charlemagne Palestine, né Chaim Moshe en 1947 à Brooklyn, découvre l’art grâce au chant à l’âge de 13 ans. Il étudie la composition au Collège des arts et de la musique de Manhattan, puis devient carillonneur d’une église du quartier. Pendant plusieurs années, il y expérimente les sons, jouant de la Klang music (répétition de sons). 
Dans l’avant-garde new-yorkaise de cette époque, il découvre les musiciens minimalistes des courants électroniques et concrets que sont John Cage, Steve Reich et Philip Glass. Mais il poursuit ses recherches sonores dans une voie qui lui est propre. Il compose essentiellement pour piano et bourdons profonds et devient ainsi un pionnier de la Drone music (musique d’ambiance utilisant principalement des bourdons et des notes répétées avec peu de changements d’harmonies). Artiste extravagant, il se considère comme un « maximaliste », pour se démarquer de ses amis minimalistes, et se proclame Gesamkünstler, l’artiste total. 

Charlemagne Palestine
© Frac Alsace
 

Marqué par le sacré

Si la pratique musicale de Charlemagne Palestine touche au sacré, ses expositions également. L’artiste s’attache aux objets laissés pour compte, et tout particulièrement aux peluches, qu’il récupère notamment auprès d’Emmaüs et de l’Armée du Salut. Depuis plus de trente ans, celles-ci deviennent des compagnes auxquelles il attribue des qualités d’êtres vivants. Il les accumule, en fait des tableaux 3D qui le suivent lors de ses expositions et performances dans le monde entier. 

Maître de l’improvisation, sur un piano ou dans un espace à conquérir, Charlemagne Palestine aime jouer avec l'espace physique et sonore environnant. Sensibles aux vibrations et aux ondes, il remplit les vides, selon ses envies, avec ses ours en peluche, ses claviers et oscillateurs ainsi qu’avec d'autres œuvres plastiques.

Transe joyeuse

« Elevé dans une famille originaire d'Odessa, il est partagé entre une éducation spirituelle traditionnelle et son goût pour toutes les formes artistiques expérimentales. Sa pratique du chant, du carillon, de l'orgue puis du piano, lui permet de développer, dès les années 1970, une relation physique et vibratoire à l'espace. Ses expériences performatives opèrent par l'activation des lieux, des machines et organismes avec lesquels il dialogue. Cet état de mise en transe de son corps et de celui des autres (peluches, machines, audience) participe de la construction d'une communauté événementielle », décrypte Marie Canet, dans Palestine, prénom Charlemagne – Meshugga Land, paru aux Presses du Réel.

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Conférences, performances et concerts au programme

L’exposition «Cccccharrrleeewwwworllddddd aaaaa gggessaammmtttkkkuunsttwekkk ?????????? » durant cinq mois, elle est l’occasion de nombreuses animations sur les thématiques de l'enfance, de la collection, de la musique, de la création improvisée, de la nostalgie, de la société de consommation, du sacré. A vivre notamment dans le cadre de cette exposition : des ateliers pour enfants (jeunes) et de création (16 ans et +), des conférences, des performances, des projections, des rencontres, des concerts, des lectures… Un marché aux puces pour enfants sera organisé, « dans un esprit de recyclage, de récupération, en lien avec cette exposition maximaliste mais écoresponsable ». Un troc de plantes, en lien avec le jardin du Frac (une œuvre à part entière) est également prévu. De nombreuses visites guidées auront lieu, y compris des visites éclair entre midi et deux pour faire une pause déjeuner artistique. 

Lucie Michel

Exposition «Cccccharrrleeewwwworllddddd aaaaa gggessaammmtttkkkuunsttwekkk ?????????? » jusqu’au 13 novembre 2022 au FRAC Alsace, 1 route de Marckolsheim à Sélestat. Ouvert du mercredi au dimanche de 14 h à 18 h. Entrée libre et gratuite. Programme complet sur https://frac-alsace.org/