Strasbourg mise en cubes


Le projet plastique et numérique Screen city de l’artiste Alessia Sanna montre en mouvements et en musique comment la ville de Strasbourg évoluera jusqu’en 2100. Jusqu’au 30 octobre au 5e Lieu. 


Bleu. Dans l’obscurité d’une toute petite pièce en hauteur, une forme mouvante se devine. Les yeux s’habituent, la forme s’anime, comme une tâche lumineuse bleue s’élargissant inexorablement au sol. Un brouhaha en sourdine ajoute aux vibrations que génère l’installation Screen city, signée de l’artiste mulhousienne Alessia Saana pour le festival Ososphere (festival de musique et arts numériques jusqu’au 22 octobre à la Laiterie). Mais que voit réellement le visiteur de cet étrange et enveloppant dispositif visuel et sonore installé au 5e Lieu à Strasbourg ?

Exposition Screen City Strasbourg 2022
Screen city-Strasbourg comme une tâche bleue qui s’étale peu à peu…Photo Lucie Michel

PLUS DE NEUF MILLE.

C’est le nombre – en réalité, il y en près de 10000 – de cubes en plâtre qui forment la recomposition du paysage de la ville de Strasbourg tel qu’imaginé par la plasticienne-chercheuse Alessia Sanna pour le projet Screen City. Cette sculpture hyper graphique représente la capitale alsacienne en petits volumes blancs selon sa densité de bâti et de population. Les volumes les plus bas sont ceux de faible densité et les plus hauts ceux de plus forte densité. Le visiteur est ainsi plongé dans une ville tout à fait « réelle », dont les données sont justes, mais complètement recomposée par le regard de l’artiste. Ainsi une ville bien connue et pourtant totalement nouvelle se dévoile dans la pénombre du lieu d’exposition.

 

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LUMIERE EVOLUTIVE.

Pour donner vie à cette ville imaginaire, un mapping évolutif se juxtapose aux cubes, cette source de lumière donnant forme aux data de la ville fournies par le RIL (Répertoire par immeuble localisé) de la ville. « Ce jeu de données répertorie les constructions de la ville de 1850 à 2018. La mise en lumière représente par des points lumineux les bâtiments construits, donc elle évolue avec le temps », précise l’artiste, partie de ces données pour imaginer la ville en 2100. 


GEOMA-QUOI ?

« Pour créer ces bâtiments fictifs, nous avons travaillé avec le service de géomatique de la ville », poursuit Alessia Sanna. Si la géomatique est le traitement informatique des données géographiques et si l’artiste a travaillé avec le développeur informatique Alexandre Weisser, Screen city n’en est pas moins un véritable travail de création artistique, une véritable fiction, « un scénario ».

Exposition Screen City Strasbourg 2022
Les immeubles ressemblent dans l’obscurité à des coraux sous-marins. Photo Lucie Michel

JUSQU’A SATURATION.

Le mapping qui fait « vivre » la sculpture incarne dix itérations, où à chaque jeu de données initial s’ajoute un pourcentage de progression du bâti pour arriver au moment où Strasbourg sera complètement saturé. « Dans notre scénario, le point critique se situe en 2100 », précise Alessia Sanna. Au terme des dix boucles qui se succèdent implacablement, le paysage urbain devient complètement saturé et le tableau final est proche d’un monochrome bleu vibrant dans la pénombre. 


AU DEPART ETAIT LE LEGO®.

C’est en moulant des Lego® alors qu’elle était encore étudiante à l’université de Strasbourg, en master de recherche, qu’Alessia Sanna a vu une ville dans ses sculptures. « Puis en travaillant avec l’incubateur culturel Fluxus, j’ai affiné mon propos et commencé à travailler avec de vraies données : ainsi est né le projet, en collaboration avec le service de géomatique de la ville. Et au fur et à mesure, j’ai découvert que le développement informatique créait une œuvre plus approfondie. Et nous y avons ajouté un environnement sonore composé par Stéphane Clor. » 
Puis s’est posée à l’artiste la question de la ville intelligente, des récits que celle-ci crée, des flux qu’elle génère. Ou comment un univers dessiné a été mis ici en relation avec un vaste potentiel d’informations…


ENTRE FASCINATION ET INQUIETUDE.

« Je veux amener le visiteur à être dans un ressenti de l’ordre de la fascination, de la séduction par la forme. Puis, par l’environnement de cette sculpture, je cherche à faire éprouver un sentiment plus inquiétant : face au scénario de surpopulation, qu’est-ce qui nous attend ? J’aimerais créer une sorte de curseur qui fasse naviguer entre ces deux émotions : un regard émerveillé et un autre inquiet face à l’avenir », assume Alessia Sanna qui évoque notamment les problématiques environnementales qui se poseront. 


LA VILLE HORIZONTALE.

Comme nombre de villes, le travail de la plasticienne est en chantier. Elle aimerait développer son concept dans de grandes villes mais aussi dans de plus petites, où la variété des flux générés donnera forcément d’autres formes à ses œuvres. « Pour l’instant, les villes que je représente dont une version expérimentale de Paris, sont toujours dans la verticalité mais j’aimerais explorer une ville couchée. » Alessia Sanna souhaiterait pouvoir explorer cette horizontalité in situ, dans un centre d’art. 

Exposition Screen City Strasbourg 2022

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DU HAUT DE LA CATHEDRALE.

La spécificité de Strasbourg étant sa cathédrale, l’artiste en a joué lors d’une résidence sonore où des captations ont été faites aux quatre coins de la plateforme de la cathédrale vers 18 h. « Non seulement elle est un symbole, mais elle est l’un des points les plus hauts de la ville, permettant de bien entendre les sons », explique l’artiste. D’autres captations sonores ont ensuite été réalisées place du château, au pied de la cathédrale, près du lieu d’exposition du projet. 


UN JEU D’ENFANT.

« Les moulages en plâtre ont accompagné toute mon enfance, j’en faisais avec ma mère. » Une habitude conservée lors de ses nombreuses heures d’art plastique au lycée puis à l’Université de Strasbourg où elle a suivi un master en recherche plastique. Actuellement en doctorat à Paris 1 en Création-recherche, Alessia Sanna travaille à une thèse sur la visualisation des données dans le champ de l’art plastique. Pour mieux déranger visuellement le désordre des villes ? 


Auteure et photos : Lucie Michel


« Screen city », au 5e Lieu, 5 place du Château à Strasbourg, du mardi au samedi de 11 h à 19 h et le dimanche de 11 h à 17 h, jusqu’au 30 octobre. Entrée libre. Cette installation est présentée dans le cadre du festival Ososphère (jusqu’au 22 octobre à Strasbourg).