Annie Sibert, auteure du bijou contemporain 

Troisième épisode de notre série dédiée à l’artisanat d’art. Rencontre aujourd’hui avec l’artiste plasticienne et bijoutière contemporaine Annie Sibert. Originaire de Mulhouse, elle s’est fait un nom du côté de Strasbourg après s’être formée à de nombreuses techniques de travail des métaux. Entretien avec une artiste qui adore détourner les outils traditionnels et réinventer les gestes.

D’où vous vient cette passion pour l’artisanat d’art ? 

Ancienne violoniste, j’ai toujours voulu faire de la musique ou travailler de mes mains. J’ai fini par choisir de fabriquer des objets. Je suis entrée en 2003 aux Arts décoratifs de Strasbourg dont je suis sortie diplômée en 2009. Quand j’ai découvert l’atelier bijou, j’ai tout de suite été fascinée par la quantité de techniques que l’on pouvait apprendre, les formes des outils, les matières. Les lieux sont sublimes. On pénètre dans une grande salle où les fenêtres sont très basses, où la lumière rase les tables, ce qui est très agréable. Dès 2006, lors de mon passage à la HEAD (Haute Ecole des Arts de Design) de Genève, dans le cadre de mon Erasmus, suivi d’une formation en ferronnerie d’art à l’Afpa Strasbourg, je commence déjà à mélanger les métaux et à détourner les techniques que j’utilise. J’observe pour voir comment je peux utiliser un outil autrement, en me laissant être surprise par des accidents, les choses inattendues.

Quand et comment vous êtes-vous lancée à votre compte ? 

Dès que je suis arrivée à Strasbourg pour mes études, j’ai aimé baigner dans ce tissu associatif très fort. Après mon diplôme, j’ai ouvert mon premier atelier à la Semencerie, puis créée mon entreprise début 2010. Dans la même période, je suis lauréate du prix Jeune Création d'Ateliers d’Art de France 2012, et finaliste du Grand Prix de la Création de la ville de Paris 2010 et 2012.

Dans mon approche, je décide de trouver des solutions pour montrer mes bijoux autrement que dans des vitrines ou des socles. L’idée continue à m’animer encore aujourd’hui. Pour transformer le métal, il me fallait les bons outils, un bon chalumeau, ça prend du temps. Pour le projet Sculpture sur Mesure, mon but était de réaliser des anneaux assez massifs. Je décide de construire mes propres blocs. Je mélange le fer, l’argent, le cuivre, le bronze, à l’aide des chutes de mes autres bijoux. Je soude et réalise ainsi mes premiers anneaux. Ma première résidence en 2014 au Burkina Faso, avec deux bijoutiers touareg, m’a beaucoup apporté. Tout comme celle que je réalise en 2016 au Musée Lalique de Wingen-sur-Moder où j’ai mené un travail avec des élèves de la classe design, et travaillé en parallèle à l’atelier de moulage de la manufacture.

« J’adore réinventer les gestes autour du travail des métaux »

 

L'expérimentation avec les outils et les matières semble être centrale dans votre processus créatif, n’est-ce pas ? 

J’adore réinventer les gestes autour du travail des métaux, cela me permet de voir autrement et de changer de point de vue sur le statut du bijou. L'expérimentation est aussi une technique en soi qui me permet d'être plus libre. Par exemple dans les bagues Sculpture sur mesure, je détourne la technique du tour à métaux en alésant des blocs de métaux que je construis au préalable, alors que normalement on tourne des blocs de métaux uniques. Ici, ce qu'il m'importe, c'est le résultat aléatoire obtenu.

Ces résidences successives vous ont-elles permises d’assumer votre relation intime avec les matières et les éléments, et ainsi vos inspirations ? 

En mai et juin 2015, lors d’une résidence en Corée du Sud, j’ai beaucoup appris de la technique Ipsa (damasquinage) aux côtés du maître Hong Jung-Sil, Patrimoine Culturel Immatériel Coréen. Je suis la première étrangère à avoir été formée par le maître. J’ai la chance d’y retourner trois mois, grâce à l’aide de la Drac Grand Est, l’Institut Français et Ateliers d’Art de France. En 2018, je termine une pièce qui représente un QR code réalisé en fer et en argent. Cela représente 150 heures de ciselage et une centaine d'heures d'incrustation. Là, il s’agissait de cacher un bijou à l’intérieur du QR code ; une broche que l'on peut détacher du motif du QR code, porter et donc rendre impossible la lecture de l’information virtuelle. Le motif est devenu un élément pour ajouter un sens profond à l'objet.

Annie Sibert QR code

En 2015 j’ai réalisé l’installation In Situ, Hyphen, dans les mines d'argent de Sainte-Marie-aux-Mines, qui symbolise la veine argentée dans la roche. La partie argentée de la sculpture est un anneau fabriqué avec le tour à métaux, maintenu entre deux barres d’acier, œuvre que je crée en hommage à l'artiste André Cadéré. On peut donc enlever la bague de la sculpture et la porter. Cette idée, on la retrouve dans la boîte à bijoux Heim, une sculpture en bois inspirée de l’architecture des maisons alsaciennes. 

Réalisez-vous des commandes personnalisées et accueillez-vous des stagiaires ? 

Cela m’arrive mais c’était plus compliqué ces dernières années. Après dix ans passés à La Semencerie, je suis désormais au CRIC (Collectif d'artistes et d'artisans), rue de la Coopérative, dans le quartier du Port du Rhin. C’était au moment du confinement. J’ai atterri dans un bâtiment de 800 m2 où l’on a construit tous nos ateliers. En parallèle, depuis 2019, je suis assistante à l’atelier bijou de la HEAR (Haute Ecoles des Arts du Rhin). Pour les commandes, ça m’arrive de dire oui quand j’ai la possibilité d’y mettre ma touche et du sens, ou alors à travers l’histoire que la personne va me raconter. Depuis quatre ans, je prends un(e) stagiaire chaque été pendant un mois. Cela m’arrive également d’organiser des ateliers privés comme des mini-stages découverte. Sur une journée, trois personnes viennent avec des anciens bijoux en argent. Ils réalisent la fonte, un nouveau lingot puis font un bijou. J’aime bien ce côté transmission.

Annie Sibert bague
Sculpture sur mesure, une bague signée Annie Sibert

Quelle est votre actualité ? 

Je prépare trois expositions pour la rentrée de septembre dans le cadre de Parcours Bijoux, organisé à Paris du 2 au 29 octobre par l’association D’un bijou à l’autre. Vous pouvez également retrouver mes créations en petite série à la vente au Générateur, une boutique de créateurs située rue Sainte-Madeleine à Strasbourg.

Plus d’infos ? 
https://www.anniesibert.com/ 
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Recueilli par Florian Dacheux

A propos de l'auteur

Trentenaire basé en banlieue parisienne, Florian navigue dans le monde des médias depuis 2005. Des bases du métier appris en presse quotidienne régionale à Avignon, il a connu une expérience de correspondant à Barcelone, le reportage en radio depuis Marseille, ou encore l’édition numérique dans diverses rédactions parisiennes. Freelance depuis 2015 en tant que reporter et rédacteur pour la presse magazine et digitale, il réalise différents types de sujets de société. Florian anime également des ateliers d’écriture et pratique la photographie.

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