Les nouveaux atours de l'Ancienne Douane

L'emblématique brasserie alsacienne a été reprise par Jean-Noël Dron en pleine crise sanitaire. Après plusieurs mois de travaux, elle s'est parée d'une nouvelle décoration pour attirer tant les touristes de passage que les visiteurs locaux.

Sa grande et belle terrasse donnant sur l'Ill fait partie, avec la cathédrale et la Petite-France, des images les plus connues de la Strasbourg touristique. Symbole de la prospérité commerciale de la cité alsacienne durant le Moyen-Âge, l'Ancienne Douane a de tout temps connu les superlatifs : le plus grand bâtiment civil de la ville médiévale est ainsi considéré aujourd'hui comme la plus grande Winstub d'Alsace et du monde (600 couverts) ! Une destinée qui cache pourtant une histoire chaotique, faite de destructions... et de renaissances.

La plus grande Winstub du monde 

La dernière - et non des moindres - vise à faire de ses salles boisées LE lieu de référence du tourisme à Strasbourg. Une adresse authentique, populaire mais sans aucun compromis quant à la qualité du service qu'on y reçoit et des plats qu'on y déguste. Avec en prime, pour les passagers de Batorama, la possibilité d'accéder à une table en descendant du bateau !

L'Ancienne Douane et sa fameuse terrasse surplombant l'eau © DR
L'Ancienne Douane et sa fameuse terrasse surplombant l'eau © DR

Le restaurant, exploité tantôt par le groupe Accor, la Société des wagons-lits puis l'Alsacienne de restauration (groupe Elior) a été repris mi-2021 par Jean-Noël Dron, serial-restaurateur bien connu dans la place strasbourgeoise. « C'est le genre d'affaire qui ne change de main que 2 à 3 fois dans un siècle. Il fallait saisir cette opportunité, quitte à réfléchir ensuite à la façon de la gérer », note ce dernier. De fait, après une première saison transitoire, d'importants travaux ont été réalisé en salle ce printemps, pour redonner un caractère authentique au lieu, rénovée de façon trop grossière - aux yeux de l'exploitant actuel (1) – il y a 20 ans. À l'époque, un incendie avait imposé de reprendre la totalité des boiseries.

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Cultiver l'authenticité

Désormais, les séparations inhérentes à l'esprit de la brasserie sont pourvues de véritables carreaux de verre en cul-de-bouteille, comme ceux des fenêtres des bâtiments historiques de la ville, et des fresques peintes à la main ornent les murs. La carte a également été recentrée sur les recettes de brasserie traditionnelle, afin de pouvoir servir une cuisine « maison », loin de l'image des plats en sachet qui a longtemps terni l'image du lieu. Avec l'ambition d'y développer à terme les circuits courts, à l'image du point de vente de produits de la ferme occupant l'autre partie du bâtiment, lancé en 2015 par une vingtaine de producteurs locaux. « Dans deux ans, 50% de notre carte sera réalisée à partir de produits récoltés à moins de 100 km d'ici. Notre vin pourrait même être livré par bateau », estime ainsi le restaurateur. 

 « L'Ancienne Douane va rester un restaurant touristique, et alors ? Ce n'est pas un gros mot. D'ailleurs, nous sommes tous des touristes », lance Jean-Noël Dron. Avant de préciser : « Touristes de passage, Strasbourgeois ou VIP doivent y recevoir la même considération. Pour cela, nous avons insufflé notre vision du service, fait de qualité et de régularité, le tout ouvert à tout le monde ». Lui-même ne se sent pas propriétaire omnipotent, plutôt dépositaire de l'identité propre de chacun de ses établissements (2), sur laquelle il veille comme un conservateur veille sur des œuvres d'art. C'est le cas en particulier de l'Ancienne Douane, dont la première mention en tant qu'auberge remonte à... 1401. 

Halle de stockage, hôtel de monnaie, salle de foire puis auberge

Cette halle de commerce (Köifhüs en alsacien) a été érigé en 1358, à l’emplacement de l'ancien port fluvial de Strasbourg, où étaient stockés puis expédiés les produits des salines de Lorraine. Les bourgeois de la ville voulaient alors disposer d'un lieu où stocker, contrôler et taxer les marchandises transitant le long du Rhin : tabac, vin, sel, poisson, viande... Symbole de la puissance de la ville et de ses corporations, en particulier celle des bateliers, la monnaie de Strasbourg y était frappée. Le bâtiment accueillait également de grandes foires, à la Saint-Martin et à la Saint-Jean. Il sera agrandi dès 1389 et orné de boutiques et d'échoppes, puis équipé de deux grues actionnées par des hommes dans des « cages d’écureuil » - système utilisé pendant plusieurs siècles. 

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En 1401 donc, le rez-de-chaussée est transformé en auberge par un certain Spanbett, boucher de son état. C'est dans cette dernière qu'un premier incendie éclate en 1497, durant la foire de la Saint-Jean. À cette période, l'auberge est pleine ; le feu fait donc beaucoup de victimes. On raconte même qu'un moine un peu trop bedonnant serait alors resté coincé dans une des étroites fenêtres du bâtiment, empêchant de nombreux clients de s'échapper. L'édifice en tout cas est ravagé. Il sera reconstruit 10 ans plus tard, grâce aux fonds de l’Œuvre Notre-Dame, puis régulièrement agrandi, en 1751, en 1781... au fur et à mesure du développement de la cité. Jusqu'à ce que le port soit déplacé plus en aval sur la rivière, et avec lui, les services douaniers. En 1803, le bâtiment prend ainsi le nom d'Ancienne Douane. Il sera utilisé successivement comme marché aux vins, magasin de tabac (sous administration douanière), avant de devenir le marché aux poissons des Strasbourgeois. 

Le marché aux vins de Strasbourg, vers 1630. Eau-forte de Wenceslas Hollar © Cabinet des Estampes et des Dessins de Strasbourg
Le marché aux vins de Strasbourg, vers 1630. Eau-forte de Wenceslas Hollar © Cabinet des Estampes et des Dessins de Strasbourg

Un lieu de culture

Cet édifice-là n'existe plus réellement aujourd'hui. Le 11 août 1944 en effet, le bâtiment de l'Ancienne Douane est presque entièrement détruit, pour la deuxième fois de son histoire. Seule une extrémité du bâtiment survit au bombardement allié, ainsi que quelques arcades et un bout de façade ouvrant sur du vide. Les ruines sont heureusement sécurisées et classées monument historique, ce qui évitera au lieu de finir en parking. Mais ce n'est qu'en 1966 que l'Ancienne Douane renaîtra réellement de ses cendres, après 4 ans de travaux, payés par les dommages de guerre. L’immeuble retrouve alors sa silhouette d'origine, avec sa toiture à pente raide, ses innombrables lucarnes et ses pignons gothiques. En plus d'une brasserie alsacienne avec sa terrasse sur l'eau, une salle d'exposition y est aménagée. Elle abritera jusqu'en 1998 les collections du musée d'art moderne de Strasbourg. Elle pourrait, à l'avenir, reprendre du service et servir de lieu d'exposition temporaire aux différents musées de Strasbourg. Comme pour mieux concilier gastronomie et culture.

L'Ancienne Douane de nuit © DR
L'Ancienne Douane de nuit © DR

(1) Le bâtiment, classé à l'inventaire des Monuments historiques, appartient à la Ville de Strasbourg.
(2) En plus de l'Ancienne Douane, citons la Maison Kammerzell, les brasseries Floderer de Strasbourg et Paris, les brasseries Excelsior de Reims et de Nancy et le Bouillon Julien (Paris).

Auteure : Nathalie Stey

A propos de l'auteure

Journaliste indépendante amoureuse de l'Alsace, Nathalie Stey a animé pendant 20 ans une revue professionnelle consacrée au transport fluvial et basée à Strasbourg. Elle a depuis élargi son spectre et assure aujourd'hui la correspondance en région pour le journal Le Monde et Le Mensuel éco Grand Est, tout en restant fidèle au secteur de la voie d'eau qu'elle s'attache à faire découvrir.