Strasbourg : cette flèche de la cathédrale jamais réalisée

Approcher l’exceptionnel dessin réalisé en 1419 de la flèche de la cathédrale telle elle n’a jamais existé, ainsi que toutes les questions qu’il suscite : c’est ce que les visiteurs peuvent faire chaque week-end jusque fin avril au musée de l’Œuvre Notre-Dame.

Un dessin de 1419 disparu

Réalisé il y a plus de 600 ans, en 1419, ce dessin de la flèche de la cathédrale de Strasbourg est le premier connu représentant de manière précise l’octogone qui avait déjà été construit. Surtout, il est le premier projet de l’architecte de la cathédrale Johannes Hültz qui avait imaginé une flèche posée sur l’octogone. Il avait disparu de la collection de l’Œuvre Notre-Dame, sans doute à la Révolution. 

La copie en calque pour seul trésor

En 1845, sa trace avait été retrouvée grâce aux recherches de l’archiviste de la ville de Strasbourg Louis Schneegans : « Il a été acheté à Dijon par Monsieur Saint-Père chez un marchand de ferraille et appartient aujourd’hui à Monsieur Saint-Père fils, architecte à Paris. » On sait que le maire de l’époque tenta de récupérer ce dessin, mais en vain comme en témoignent des courriers conservés aux Archives de la Ville. Alors la Ville en fait réaliser un relevé calqué sur l’original, présenté dans la même salle que l’original. Cette copie, fidèle, reste néanmoins sans émotion, car n’y figurent que des traits, sans rehauts de couleur ou jeux d’ombres.

[LIRE AUSSI : L’absurde est un détail de la plus haute importance]

Retrouvé et restauré

Après qu’il a été mis en vente sur le marché de l’art en 2018 avec le caractère de « Trésor national », le dessin est acquis puis restauré grâce au soutien du Ministère de la Culture, de la ville de Strasbourg, de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame, de la Société des amis de la Cathédrale de Strasbourg et de mécènes privés. En 2022, il rejoint les collections du musée de l’Œuvre Notre-Dame où il est présenté au public les week-ends jusqu’à fin avril et lors de visites guidées deux dimanches par mois.

Trop beau...

Les sculptures de deux des huit « spectateurs » placés sur la balustrade donnant accès aux tourelles d’escalier de l’octogone, cachées entre les lignes verticales, émeuvent par leur grâce de style gothique. Sur plus de deux mètres de hauteur et 54 cm de largeur, l’architecte a réalisé un dessin à la plume représentant la structure architecturale et ses détails ornementaux, utilisant des rehauts de lavis. Ce dessin est qualifié de virtuose car en fait, il a été réalisé à l’intention des commanditaires de ce chantier municipal. En outre, les dessins circulaient beaucoup d’un chantier gothique à une autre à cette époque, dans une sorte de course à l’innovation. 

Le dessin d’une grande finesse est qualifié de virtuose car en fait, il a été réalisé à l’intention des commanditaires du chantier municipal.
Le dessin d’une grande finesse est qualifié de virtuose car en fait, il a été réalisé à l’intention des commanditaires du chantier municipal.

… pour être réalisable

Mais en fait, ce dessin trop beau n’est pas opérant : il n’est pas assez précis pour les tailleurs de pierre. C’est l’appareilleur du chantier qui doit l’interpréter pour mettre la construction en pratique. Sa virtuosité reste toutefois indéniable, car l’architecte y fait preuve d’une parfaite maîtrise de la géométrie. En effet, ce dessin demande une grande qualité d’abstraction…puisque l’œil humain ne peut jamais voir l’octogone et la flèche tels qu’ils sont ici représentés. 

 

Une Vierge au sommet

Sur le dessin de cette flèche, figure une grande statue de la Vierge au sommet, sainte patronne de l’église et protectrice de la ville. Le dessin de cette figure, au style raffiné caractéristique du début du XVe siècle strasbourgeois, atteste la main d’un artiste différent. Et si la flèche ici dessinée n’a jamais été construite, la sculpture de la Vierge a toutefois été réalisée. Elle a même surmonté un temps la flèche actuelle, terminée en 1439. Mais elle a été déposée en 1488 par Hans Hammer, l’architecte qui a succédé à Johannes Hültz. Pour quelles raisons ? Une question d’équilibre, un dégât suite à la foudre ? Personne ne le sait.

La flèche abandonnée

Alors que le dessin a été réalisé en 1419 et que la date d’achèvement de la cathédrale retenue est 1439, pourquoi la flèche réalisée n’est-elle pas celle de ce premier projet ?  On peut supposer qu’elle était trop proche de celle de Cologne, le précédent chantier de Johannes Hültz, ou qu’elle n’était pas assez innovante… Des visites thématiques prévues les jeudi 16 mars à 12 h (sur la différence entre le projet dessiné et la flèche exécutée) et jeudi 6 avril à 12 h (sur la conception de la flèche du XIIIe au XVe siècle) apporteront sans doute des réponses. 

La plus haute cathédrale de la chrétienté médiévale

De fait, en construisant une nouvelle flèche, Johannes Hültz fut bien plus inventif avec la structure actuelle en pyramide, chaque élément formant le baldaquin de l’élément supérieur, avec huit petits escaliers en vis convergeant vers le lanternon sommital. Ces escaliers constituent la grande originalité apportée par l’architecte, s’accordent à reconnaître les spécialistes. Et ainsi, Johannes Hültz réussit sa mission de faire de la cathédrale de Strasbourg l’édifice le plus haut de la chrétienté médiévale avec ses 142 mètres, ce qui resta valable jusqu’au XIXe siècle.

[LIRE AUSSI : Musée Lalique : le célèbre musée Alsacien rouvre enfin ses portes avec de jolies nouveautés ]

Une deuxième flèche ?

Le visiteur sera forcément surpris en allant découvrir ce dessin dans la salle de conservation du musée car il y verra…deux dessins de flèches. Ni l’une ni l’autre n’ayant jamais été réalisées ! Le deuxième dessin est signé de Hans Hammer, en 1490, le successeur de Johannes Hültz. Celui-ci représente une autre version de flèche, alors se pose la question : puisque la cathédrale était terminée, sa flèche aussi, pourquoi avoir dessiné encore une flèche ? On peut supposer qu’il s’agissait de la deuxième flèche de la cathédrale, côté sud. En réalité, les travaux de cette deuxième flèche ont bien démarré sur quelques mètres de hauteur, mais le chantier a été stoppé. Pourquoi ? Encore une question sans réponse. Peut-être parce que la course à l’édifice le plus virtuose s’est calmée, peut-être les finances ont-elles manqué…

Lucie Michel

« Le dessin de la flèche de la cathédrale : présentation d’un trésor national », au musée de l’Œuvre Notre-Dame à Strasbourg, les samedis et dimanches de 14 h à 18 h jusqu’au 23 avril. Visites guidées les dimanches 19 mars, 2 et 16 avril à 11 h. Atelier famille mardi 18 avril à 14 h 30 (Une deuxième flèche ?). Tarif : 7,50 €.