Après une carrière d'architecte d'intérieur, Armelle Bouvier a fait le choix de Strasbourg puis de l'artisanat aux débuts des années 2000. Une première reconversion dans la restauration de meubles qui connaît à l'aube de la rentrée 2025, un nouveau virage après un accident du travail... Portrait d'une passionnée, sans langue de bois.

Originaire de Moselle, Armelle Bouvier s'oriente d'abord vers l'architecture d'intérieur, et les grandes villes. Après Paris et Berlin où elle a longuement vécu, elle choisit Strasbourg. ...Une ville qui lui rappelle la capitale allemande : entourée de verdure, praticable à vélo. Une ville qui l'attirait déjà, lorsque plus jeune elle opte – presque à regrets – pour Nancy pour ses études, tandis que d'autres s'envolent pour Strasbourg.
Installée ici en 2003, elle réalise que les chantiers dans l'architecture d'intérieur se font rares. Après une quinzaine d'années dans le métier, elle fait un bilan de compétences et se rend compte qu'elle en a assez de rester « vissée à des ordinateurs toute la journée ». Elle se rappelle de ses premiers amours : elle a « toujours aimé bricoler ». « Quand j'étais gamine, j'avais une pièce à la cave pour le travail manuel ». ...Se moquant par ailleurs de la dichotomie qu'il existe en France entre les profils dits « intellectuels » ou « manuels » : « c'était une autre capacité » qu'elle a simplement développée.
Après une formation de restauration de mobilier à Paris, elle se lance à son compte en 2008. « Rares sont les métiers d’art qui embauchent » explique-t-elle. Elle créé donc Acajou. Un atelier qu'elle installe à Strasbourg (à la Meinau), et ce, « en démarrant de zéro » avec aucun réseau. Après être passée par plusieurs couveuses d'entreprises, elle rejoint finalement la coopérative Antigone.

En pleine restauration © Armelle Bouvier - Acajou
« Entrée par la petite porte », elle n'a jamais travaillé pour le patrimoine (pour lequel il faut désormais un diplôme particulier), mais elle acquiert avec les années une clientèle privée variée. Celle-ci lui confie des meubles de toutes tailles et de toutes époques.
La restauration : le savoir-faire au service du souvenir
Dans la restauration, le secret est de s'adapter à celui-ci. Il s'agit de « respecter le meuble », et non d'une « rénovation », précise Armelle. « On cherche à utiliser les techniques de l’époque, avec des colles naturelles : colles d'os, de nerfs, de peau de lapin...».
Là où en ébénisterie, on construit des meubles neufs avec des matériaux et produits contemporains, la restauration exige la maîtrise d'autres savoirs et techniques. « On adapte les produits à l'âge du meuble », que celui-ci date du 18ème siècle ou des années 1950. Dans le cas du premier, Armelle nous parle du « vernis gomme laque », un vernis naturel et fragile créé à partir de « la sécrétion d'un insecte qui fait des petites paillettes […] que l'on dilue dans l'alcool ». Tandis que pour le second, elle opterait plutôt pour un vernis plus moderne, type polyuréthane.
Quant aux pièces abîmées (attaquées par les insectes, par exemple), il faut d'abord penser à « les traiter puis les solidifier », « avant de remplacer des pièces importantes de façon radicale ». « J'ai fait des stages chez des restaurateurs à l'ancienne et ils changeaient toute la traverse. Ce n'est pas des choses que l'on apprend, en restauration [où l'on essaie] plutôt de les conserver. Et on remplace dans les cas où ce n'est plus possible autrement », raconte Armelle.
Et dans ce cas-là, il faut « reconstruire, récupérer », à travers un travail d'ébénisterie (notamment pour fabriquer de nouveaux pieds). Armelle nous rapporte avoir « rarement jeté un bout de bois », au cas où il servirait sur un autre meuble. [Un stock conséquent à gérer, lorsqu'il a fallu vider son atelier]. « Car le bois change avec le temps. Il acquiert une patine. […] Il vaut donc mieux utiliser un vieux bois qui sèche depuis très longtemps, […] et qui aura une meilleure allure dans le meuble ». Aujourd'hui, « les bois, on les sèche très vite, et pas du tout de la même façon qu’il y a 200 ans. […] Même si l'on peut jouer avec des patines, pour unifier l'ensemble. ».



Résultat avant / après d'une restauration de table © Armelle Bouvier - Acajou
Résultat avant / après d'une restauration de table © Armelle Bouvier - Acajou
Résultat avant / après d'une restauration de table © Armelle Bouvier - Acajou
L'épuisement professionnel : l'artisanat à l'épreuve
Et puis, Armelle parle de sa blessure. Un accident de travail en juin 2023, et une erreur qu'elle s'explique encore à peine. « Un coup de ciseaux à bois dans la paume de la main droite, alors que je suis droitière ». Le signe d'un épuisement, d'un burn-out.
Suite à une complication, et incapable de reprendre quelques mois plus tard son activité comme elle la pratiquait, elle a dû se résoudre à quitter son atelier de la Meinau. [Elle souligne le soutien de la coopérative Antigone, qui lui a permis d'obtenir un arrêt maladie (chose rare lorsqu'on est artisan(e) ou à son compte) puisqu'elle y bénéficie d'un statut de salariée].
Ce burn-out, Armelle l'attribue à la difficulté du métier. Si elle note que l'Alsace est une « région où il existe beaucoup de travail du bois » avec un beau réseau d'artisan(e)s spécialisés auprès de qui elle pouvait facilement se tourner (pour de la sculpture de petites pièces, par exemple), elle en conclue après une quinzaine d'années dans la profession qu'il est toutefois compliqué d'en vivre confortablement.
Elle confie qu'il est probablement plus facile pour celles et ceux qui travaillent dans le patrimoine, ou les familles d'artisan(e)s avec des ateliers installés depuis plusieurs générations, que pour les ateliers comme le sien, partis de rien. Ou les profils formés jeunes à l'école Boule, versus une réorientation dans la quarantaine, en solitaire, avec un loyer en ville à assumer.
Aujourd'hui, elle s'apprête à se réorienter, une troisième fois. Finies, les grosses armoires alsaciennes format « cabanes de jardin ». Si elle reprend bien dans la restauration, elle devra désormais adapter sa production à ses nouvelles conditions... En se concentrant sur les petites pièces dont elle aimait déjà s'occuper à l'époque – certes « moins rentables », concède-t-elle.
Restauration de statues, petit mobilier, cadres, boîtes, polychrome, et dorures (dans laquelle elle s'est encore plus spécialisée, depuis). « Des échelles très différentes, de mobilier et d'intervention ». En recherche d'un nouvel atelier – petit et/ou partagé – où se réinstaller, elle commence cette fois à domicile, en reprenant sur des petites pièces en attente depuis son arrêt. (Preuve de la confiance de ses client(e)s, qui ont eu la patience de l'attendre).
Elle envisage une reprise des ateliers à destination du public si elle trouve un lieu qui s'y prête, redévelopper le DIY. Elle confie avoir particulièrement aimé transmettre à l'époque auprès de stagiaires, d'apprenti(e)s, ou lors d'ateliers DIY de mise en peinture. Une expérience « très sympa humainement » – auprès « de femmes, essentiellement ».
L'occasion aussi, de sensibiliser le public à sa pratique : que la restauration, « ça prend du temps ». « Rien ne se fait vite ». Si l'on devait résumer la restauration ? Un travail minutieux et respectueux, et une profession qui requiert autant de cœur que de labeur.


Focus outils © Armelle Bouvier - Acajou
Focus meuble © Simon Woolf
Pour retrouver Armelle Bouvier / Acajou Restauration :
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